Leif Segerstam, l'architecte des émotions musicales
Leif Segerstam et l'Orchestre philharmonique d'Helsinki au Royal Festival Hall à Londres, le 31 juillet 2012. ©Wikimedia Commons

Le 9 octobre, le maestro finlandais, Leif Segerstam, a tiré sa révérence à l'âge de 80 ans. Franc-tireur et excentrique, il a profondément marqué le paysage musical (dit) classique en dirigeant, à sa façon, les plus prestigieux orchestres et en composant plus de 370 symphonies.  

Le maestro finlandais, Leif Segerstam, est décédé le 9 octobre à l'âge de quatre-vingts ans. Reconnu pour son approche non conventionnelle de la direction d’orchestre et son énergie débordante, il laisse derrière lui un héritage musical aussi riche que coloré. Né le 2 mars 1944 à Vaasa, en Finlande, Segerstam a marqué l'univers de la musique d’art occidentale par son interprétation passionnée des œuvres orchestrales. Directeur artistique de plusieurs formations prestigieuses, notamment l'Orchestre symphonique de la Radio finlandaise et l'Orchestre philharmonique d'Helsinki, il a insufflé une nouvelle vie aux chefs-d’œuvre du grand répertoire, tout en explorant une pléthore de pièces post-modernes. La personnalité excentrique de Segerstam, alliée à sa curiosité musicale insatiable, son franc-parler et sa créativité intarissable, a marqué son parcours artistique atypique, le plaçant parmi les figures les plus singulières et parfois controversées du paysage musical (dit) classique.

Jésus de la musique

Une main légère sur le pupitre, l’autre levée dans un geste qui semble déjà parler à la musique, le maître finlandais dominait la scène avant même que les premières notes ne prennent vie. Ses longs cheveux blancs, flottant légèrement au gré de ses mouvements, traçaient une auréole lumineuse autour de son visage serein, un mélange entre Johannes Brahms et Karl Marx. “Je suis presque comme le Jésus de la musique, a-t-il même affirmé. Dans le monde de la musique, je possède des vérités aussi précieuses que les enseignements de Jésus.” Sa barbe fournie ajoutait à son allure de sage, faisant penser tantôt au Père Noël, tantôt à un druide des temps anciens, ancrant ainsi son personnage dans un registre à la fois familier et mystique. Dans ses gestes fluides, il dégageait une grâce naturelle. Segerstam ne se contentait pas de diriger, mais s'engageait véritablement dans un acte de création. Et lorsque la musique jaillissait, il s'y abandonnait pleinement. Les musiciens suivaient chacun de ses gestes avec une attention presque religieuse, tels des enfants fascinés par les récits d’un conteur.

Approche intuitive

Segerstam a été immergé, dès son jeune âge, dans un environnement musical. Il étudie d’abord le violon et l'alto, jouant notamment au sein de l'Orchestre des jeunes d'Helsinki. Ses études musicales s’étendent, par la suite, au piano et à la direction d'orchestre, qu'il approfondit à l'Académie Sibelius d'Helsinki, puis à la Juilliard School de New York. Dès 1963, il fait ses débuts de chef d'orchestre dans Le Barbier de Séville de Rossini à Tampere, une ville située au sud de la Finlande. Cette performance marque le début d'une carrière qui le mènera à la tête des plus grands orchestres du monde dont celui de l'Opéra royal de Stockholm, en 1968. Au cours des décennies suivantes, il élargit son influence à l'international, dirigeant de grandes maisons d'opéra tels que la Deutsche Oper de Berlin, le Met à New York, le Covent Garden à Londres, la Scala de Milan et la Staatsoper de Vienne. Son style unique, caractérisé par une grande expressivité et une approche intuitive de la musique, lui permet de façonner des interprétations mémorables qui touchent tant le public que les musiciens.

Répertoire symphonique

À partir des années 1970, Segerstam se consacre davantage au répertoire symphonique, occupant, entre autres, le poste de chef principal de l'Orchestre symphonique de la Radio autrichienne jusqu'en 1982, puis celui du Symphonique de la Radio finlandaise de 1977 à 1987. Sa réputation grandissante lui ouvre les portes des scènes internationales, où il dirige des orchestres de premier plan à travers le monde, de Chicago à Tokyo, en passant par Londres, Paris, Bruxelles, Genève, Munich, Bonn, Madrid, et Lisbonne, pour n'en nommer que quelques-uns. Il aborde un large répertoire, allant de la musique romantique de Johannes Brahms et Gustav Mahler aux œuvres modernes de Carl Nielsen et Karl Birger Blomdahl. Cependant, ses interprétations de la musique de Jean Sibelius révèlent une richesse particulière, alliant puissance émotionnelle et profonde maîtrise des subtilités de la partition. Le jeune directeur de l’Orchestre de Paris, Klaus Mäkelä, n’hésitera pas à le qualifier de “plus grand des sibéliens”.

Compositeur non-conformiste

Segerstam possédait toutefois plusieurs cordes à son arc. En plus d'être un chef d'orchestre réputé, il était également un compositeur prolifique. À sa mort, son catalogue comptait 371 symphonies, dont la plupart sont relativement courtes, d'une vingtaine de minutes, conçues pour être interprétées sans chef d'orchestre. Le compositeur cherchait à recréer l'esprit de la musique de chambre au sein de l'orchestre, tout en se tournant vers une sorte de musique aléatoire (la technique de “pulsation libre”, pour reprendre ses propres mots), permettant à ses œuvres d’évoluer dans un espace d’improvisation contrôlée. En plus de ses symphonies, il a composé, entre autres, plusieurs dizaines de concertos pour orchestre et un ou deux instruments solistes, ainsi qu’une trentaine de quatuors à cordes et un ballet, Pandora. “Je pense qu'avec la musique n'importe quel langage peut être traduit”, avait-il un jour affirmé, témoignant ainsi de sa perspective de franc-tireur. De ce fait, ses créations ont parfois suscité de vives critiques en raison de leur non-respect des règles traditionnelles de la composition. Segerstam était indéniablement un non-conformiste.

Après une brève maladie, Leif Segerstam s’envole pour briller au firmament, étoile parmi les étoiles. Il rejoint ainsi l'Harmonie suprême, où l'attendent des légendes qui l'ont récemment précédé, comme Nelson Freire, Seiji Ozawa et Maurizio Pollini. Sa disparition représente une perte incommensurable pour la scène musicale (dite) classique qu'il a illuminée de sa vision unique et de son talent exceptionnel. Requiescat in pace, Maestro.

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