Une bien triste saison pour la récolte des olives dans la bande frontalière
Les oliveraies de Hasbaya-Marjayoun, qui comptent des arbres millénaires, restent pour la plupart inaccessibles. ©Ici Beyrouth

Une vidéo d’Avichay Adraee, le porte-parole arabophone de l’armée israélienne, devenue virale à un moment donné, est hallucinante. Ce dernier y prétend que des agriculteurs libanais ont traversé la frontière pour participer à la récolte d’olives en Israël. Il va jusqu’à saluer ce qu’il a appelé “un signe de fraternité ” alors que ces derniers n’arrivent même pas à accéder à leurs propres terres. On croit rêver, surtout que quelques jours plus tôt, il avait sommé des milliers d’agriculteurs libanais de quitter leurs champs et leur avait interdit de se rendre dans leurs oliveraies “sous peine de mettre leur vie en danger”.

Dans la bande frontalière au sud du pays, la saison de la récolte des olives, qui bat son plein ailleurs au Liban, est bien triste. La région de Hasbaya-Marjayoun particulièrement est célèbre pour ses oliveraies séculaires et son patrimoine agricole. Ses habitants, qui dépendent de la culture des olives pour leur subsistance, restent impuissants face aux restrictions sévères qui les empêchent d’accéder à leurs champs.

“La saison de la cueillette des olives a déjà commencé et si une trêve n’est pas instaurée, les habitants vont perdre leurs récoltes indispensables pour leur survie tout au long de l’année” prochaine, avertit Ramzi, propriétaire d’une oliveraie dans la plaine de Marjayoun, qui ne se voit pas passer une nouvelle année sans récolter ses terres.

Les échanges de tirs entre l’armée israélienne et le Hezbollah, qui avait unilatéralement ouvert le front sud le 8 octobre 2023 en soutien au Hamas, avaient rendu difficile la cueillette des olives durant l’automne dernier. “Les habitants piochent dans leurs réserves pour se nourrir, en se limitant au minimum. La situation est très difficile. C’est grâce aux olives que nos familles sont nourries”, ajoute-t-il.

Les mains crevassées à cause des travaux agricoles et des difficultés de la vie, Mariam, 70 ans, espère toujours pouvoir cueillir les olives dans son village de Deir Mimes, en dépit de l’intensification des raids israéliens depuis quelque temps. “Nos oliveraies sont millénaires. C’est notre héritage. Ne pas pouvoir les récolter, c’est comme perdre une partie de nous-mêmes”, déplore-t-elle.

L’huile d’olive de ce village, notamment la marque Darmmess, avait remporté en avril 2023 la médaille d’or du World olive oil competition, le plus grand et le plus prestigieux concours de qualité de l’huile d’olive au monde.

La cueillette d’olives, chaque automne, est un moment crucial pour les familles. Mais cette année, les habitants de la région de Marjayoun ont connu des pertes économiques considérables qui font que leur avenir est des plus incertains. “Nous avons tout perdu. Sans ces olives, je ne sais pas comment je vais pouvoir nourrir ma famille”, confie Samir, la voix tremblante.

Rose, née à Deir Mimes et propriétaire d’une marque déposée pour la production d’olives et d’huile d’olive, se fait l’écho de ces appréhensions, en relevant que même les travaux nécessaires pour l’entretien des oliveraies n’ont pas pu être menés.

Sur une superficie de 8 kilomètres carrés, Deir Mimes abrite environ 150.000 oliviers. “C’est la principale activité agricole qui représente la source de revenus la plus importante pour les habitants chaque année. Nos oliviers représentent aussi notre culture. Le pays est déjà en faillite et les gens deviennent de plus en plus pauvres”, regrette Rose.

Pertes économiques alarmantes

Les frappes aériennes israéliennes et les combats au sol ont provoqué des incendies dans de nombreuses oliveraies, où les dégâts sont impossibles à évaluer pour l’heure. “Pour les moulins à huile, c’est pareil”, commente Walid, propriétaire d’un moulin.

En comparaison avec les années précédentes, lorsqu’une récolte normale aurait permis de générer des revenus significatifs, les pertes cette année sont catastrophiques et se chiffrent à des centaines de milliers de dollars.

En 2022, les agriculteurs avaient récolté environ 30.000 tonnes d’olives, générant des revenus d’environ 15 millions de dollars. Cette année, les prévisions indiquent une récolte proche de zéro. “C’est la première fois en vingt ans que je ne peux pas récolter mes olives. J’ai investi tout mon temps et mon argent dans ces terres, et maintenant, je ne sais pas comment je vais nourrir ma famille. Nous vivons des moments excessivement difficiles. Cette perte est insupportable”, lance Khaled, pour illustrer la gravité de la situation.

Abou Samir relève que cette année, la récolte était supposée être abondante et offrir une bouffée d’oxygène à plusieurs familles touchées par la crise économique dans laquelle le pays est plongé depuis 2020. “Sauf que nous nous retrouvons dans une spirale de dettes et de désespoir, incapables de subvenir aux besoins fondamentaux de nos familles. Je pense avoir perdu près de 10.000 litres d’huile d’olive”, ajoute-t-il.

Les rendements sont passés de 120 litres par mètre carré à moins de 20 litres dans certaines régions, comme dans le village de Mériyé, dans le caza de Hasbaya. Cette localité n’est pas touchée directement par les raids, mais ses terres se trouvent au milieu d’une zone de combats.

De nombreux habitants sont déjà partis à cause du conflit. Au sommet d’une montagne voisine, de la fumée s’élève. Les environs de Mériyé sont constamment bombardés depuis le 8 octobre 2023.

Hasbaya épargné mais tout aussi touché

Les mains de cheikh Nazih sont teintées de vert et de noir. Il vient directement des champs, où il a passé l’après-midi à cueillir les olives de ses arbres.

Malgré son sourire et son accueil chaleureux, cheikh Nazih ne cache pas ses inquiétudes. Ses terres sont loin des zones de combat, mais le bruit des explosions est infernal. “Lorsque nous sommes dans les champs, les bombardements ne s’arrêtent pas. C’est effrayant. On travaille sans relâche pour achever au plus vite la récolte des olives. Comme c’est une source de revenus très importante pour tout le monde, quelle que soit la situation sécuritaire, nous n’arrêterons pas”, poursuit-il.

Hasbaya est la seule région de la bande frontalière où les villageois ont pu récolter leurs champs malgré les tensions. Il faut dire que le Hezbollah n’y a aucune présence. Cette région compte environ un million et demi d’oliviers, selon Rachid Zouayhed, responsable de la coopérative agricole à Hasbaya. “Bombardements ou pas, les gens doivent faire la récolte”, explique-t-il.

Les années précédentes, 2021 et 2022 notamment, y ont été particulièrement bénéfiques. La production a atteint des niveaux records, avec une moyenne de 1.200 litres/hectare.

Les villes frontalières du Liban-Sud produisent 5.000 des 25.000 tonnes d’huile d’olive produites chaque année au Liban. Ainsi, les pertes subies lors des bombardements actuels peuvent affecter jusqu’à un cinquième de la production nationale d’olives.

Le prix de l’huile d’olive sur le marché est également en train de grimper, ce qui crée une pression supplémentaire sur les consommateurs. Le manque de récolte dans la région de Marjayoun aggrave encore la situation, entraînant des pertes économiques conséquentes, car les olives et l’huile d’olive, produits phares de la région, sont prisés pour leur qualité et exportés.

Vers une solution?

Des contacts ont été menés via la Finul avec les autorités israéliennes, pour que les habitants de Marjayoun, dont plusieurs ont trouvé refuge à Hasbaya, puissent accéder à leurs terres, mais aucune réponse n’a été reçue. Au contraire, le porte-parole arabophone de l’arme israélienne ne fait que répéter les mises en garde, alors que dans certains secteurs épargnés par les frappes, les récoltes sont pillées par des réfugiés syriens, revenus après avoir fui à un moment donné, selon les quelques habitants restés sur place. “Nous promettons que nous nous relèverons. En préservant cet héritage ancestral, nous célébrons non seulement le fruit de l’olivier mais aussi la résilience de notre communauté”, martèle Rose.

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