Les raisons derrière le limogeage de Yoav Gallant
©Ici Beyrouth

Il serait naïf de dire qu’on ne s’y attendait pas à un moment donné. Le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, a été démis de ses fonctions par le Premier ministre Benjamin Netanyahou lundi soir. Une décision qui constitue le point culminant de plusieurs mois de tensions entre les deux responsables politiques.

Le ministre Israel Katz le remplacera à la Défense, tandis que le portefeuille aux Affaires étrangères sera transféré à Gedeon Sa'ar. Il convient de souligner d’emblée qu'aucun des deux n'a une expérience militaire approfondie. Cependant, Katz a siégé au cabinet tout au long de la guerre qu’Israël a déclenchée contre le Hamas, après l’attaque meurtrière que le groupe palestinien a lancée contre son territoire le 7 octobre 2023, puis contre le Hezbollah quand celui-ci a ouvert le front sud, en appui à son allié palestinien. Cette présence pourrait constituer un atout dans sa nouvelle fonction.

Il y a un peu plus d’un mois, les rapports entre Netanyahou et Gallant semblaient avoir repris une forme normale, après l’assassinat du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, et l’offensive d’envergure lancée contre le Liban pour neutraliser le Hezbollah. Un semblant d’alliance de circonstance s'était instauré, presque contre leur gré, dans un effort de guerre commun au Liban. Or, aujourd’hui, la fracture au sommet de l’État israélien a refait surface, mettant en relief une discorde que nul ne pouvait ignorer.

Ce limogeage peut s'expliquer par une conjonction de facteurs complexes.

Le communiqué officiel évoque une rupture de confiance irrévocable entre le Premier ministre et son ministre de la Défense, une situation particulièrement délicate en période de conflit sur plusieurs fronts, dans la mesure où la cohésion au sein de l'Exécutif et l'unité stratégique s’avèrent primordiales. Cette explication, laconique, laisse cependant dans l'ombre des dimensions plus subtiles et des désaccords profonds qui mériteraient d’être examinés de plus près.

Ce limogeage survient dans un contexte singulier. La décision a été rendue publique le jour même de l’élection présidentielle américaine, opposant la vice-présidente démocrate Kamala Harris à l’ancien président républicain Donald Trump. La nouvelle administration Trump aura tendance à attribuer un soutien indéfectible à Israël pour “finir le travail” malgré des rapports personnels tendus avec Netanyahou.

Pour l’administration Biden, désormais en fin de mandat, cette destitution compromet l'une des relations les plus solides entre Israël et les États-Unis, privant la Maison Blanche de l'un de ses relais les plus influents auprès de Tel-Aviv et compliquant tout espoir de trêve avant l’investiture présidentielle de janvier. Surtout que les relations entre Netanyahou et Biden n’ont pas toujours été au beau fixe, principalement à cause de désaccords stratégiques dans les guerres à Gaza et au Liban.

Selon plusieurs sources américaines, Gallant avait des échanges quasi quotidiens avec son homologue américain, Lloyd Austin. Ce lien direct avait permis de réparer quelque peu la confiance bilatérale après l’épisode déstabilisant de l’assassinat de Hassan Nasrallah, qui avait pris les États-Unis de court.

“Le plan des généraux”

Un autre élément pouvant expliquer le limogeage de M. Gallant réside dans son opposition présumée au “plan des généraux”. Inspiré par la vision de l’ancien général israélien Giora Eiland et exposé dans deux articles publiés au début du conflit, ce plan recommande de rendre les conditions de vie intenables pour les habitants du nord de Gaza, dans le but de les affamer et de les contraindre à se déplacer vers le sud. Eiland soutient que ceux qui restent seraient considérés comme des membres ou des sympathisants du Hamas, devenant ainsi des cibles légitimes. L’objectif stratégique est de vider le nord de Gaza de sa population, isolant ainsi le Hamas de sa base sociale pour le forcer à capituler.

Depuis plus d'un an, aucune zone de Gaza n’a été épargnée par les attaques israéliennes. Cependant, l’attention portée au nord de Gaza, et à Jabalia en particulier, se justifie par plusieurs facteurs. Gaza nord, notamment Gaza-ville, concentre plus de la moitié de la population de la bande et Jabalia demeure un bastion historique de soutien au Hamas, où ce groupe parvient encore à se reconstituer malgré les frappes répétées depuis octobre dernier. En resserrant son emprise sur cette zone, Israël poursuit ainsi un objectif de déplacement forcé et de contrôle territorial. En septembre dernier, plusieurs généraux israéliens avaient approuvé le plan d’Eiland et l’avaient proposé au gouvernement. Benjamin Netanyahou avait ensuite informé les législateurs israéliens qu’il envisageait d’adopter le “plan des généraux”, comme l’a rappelé récemment l’AP. Deux semaines plus tard, le siège du nord de Gaza et l’invasion terrestre de Jabalia avaient débuté, en dépit des réserves de Gallant.

L’exemption de service militaire des ultra-orthodoxes est aussi une autre source de tension au sein du gouvernement, notamment entre le Premier ministre et Yoav Gallant. La question est devenue encore plus pressante depuis l’attaque du 7 octobre 2023 et l’actuel conflit, dans lequel plus de 780 soldats israéliens ont perdu la vie. Environ 300.000 citoyens ont été mobilisés en tant que réservistes. Dans ce contexte, l’exemption de milliers d’ultra-orthodoxes suscite un profond sentiment d’injustice au sein de la société israélienne, particulièrement pour ceux qui risquent leur vie sur le front.

Malgré les tentatives du gouvernement d’intégrer davantage de jeunes ultra-orthodoxes dans l’armée, les résultats se révèlent décevants. Lors de la première phase du plan de conscription des Haredim (ultra-orthodoxes) l’été dernier, l’armée israélienne a envoyé 3.000 ordres d’appel, mais seulement 230 hommes se sont présentés aux centres d’incorporation. Devant cet échec, Yoav Gallant avait approuvé, lundi, l’envoi de 7.000 convocations supplémentaires la semaine prochaine, malgré l’opposition de Netanyahou, qui craint de froisser la base politique ultra-orthodoxe dont il dépend.

La communauté ultra-orthodoxe israélienne demeure majoritairement opposée à la conscription, qu’elle perçoit comme une menace à ses valeurs religieuses.

La perspective d’une mobilisation élargie, en revanche, rencontre un soutien accru au sein de la population générale, dont les appels à une répartition plus équitable de la contribution militaire n’ont jamais été aussi vifs. En 2023, 63.000 jeunes Haredim étaient inscrits comme éligibles au service, mais des décennies de tentatives législatives et judiciaires pour résoudre ce problème n’ont jusqu’ici abouti à aucune solution durable.

Avec Israel Katz, membre du Likoud depuis 1998 et proche collaborateur de longue date de Netanyahou, à la tête du ministère de la Défense, on peut s'attendre à une coopération accrue avec le Premier ministre dans un contexte de guerre sur plusieurs fronts. Katz ne semble guère destiné à s’écarter de la ligne directrice de Netanyahou; il paraît plutôt prêt à appliquer fidèlement l’agenda politique, électoral, militaire et idéologique du chef du gouvernement. Ce nouvel alignement au sommet pourrait ainsi permettre une plus grande cohérence dans les décisions militaires, visant à faire face aux défis sécuritaires actuels israéliens tout en renforçant la stabilité intérieure selon les priorités stratégiques de Netanyahou.

 

 

Commentaires
  • Aucun commentaire