“L'Uomo Femina”: un miroir déformant mais pertinent de la société
Le baryton français Victor Sicard (à droite) et la mezzo-soprano française Eva Zaicik se produisent lors de la répétition générale de l'opéra L'Uomo Femina de Baldassare Galuppi, au auditorium de Dijon, le 5 novembre 2024. © Arnaud Finistre / AFP

Dans L’Uomo Femina, Agnès Jaoui réinvente un opéra baroque du XVIIIe siècle oublié, mettant en scène un monde où les rôles traditionnels entre hommes et femmes sont inversés. Cette satire de la société patriarcale, redécouverte en 2006 après sa création en 1762 à Venise, soulève des questions sur le pouvoir, le genre et les rapports de domination, résonnant étonnamment avec les enjeux contemporains.

Dans un monde où les rôles traditionnels sont inversés, la nouvelle production de L’Uomo Femina offre une réflexion acérée sur les dynamiques de pouvoir entre les sexes. Dirigé par l'actrice et réalisatrice Agnès Jaoui, ce spectacle ressuscite un opéra du XVIIIe siècle oublié du grand public, mais qui résonne étonnamment avec les enjeux contemporains. Présentée pour la première fois à Venise en 1762 et redécouverte en 2006, cette œuvre baroque met en lumière un univers où les hommes sont soumis à l’autorité absolue des femmes, renversant ainsi la vision patriarcale dominante de l'époque.

La monarchie féminine

L'histoire se déroule sur une île exotique, sous la domination totale de la princesse Cretidea. Entourée de soldats féminins vêtus d'armures moulantes, la souveraine incarne une figure de toute-puissante autorité. Son favori, Gelsomino, se retrouve dans une situation d’humiliation lorsqu’un simple défaut de coiffure le plonge dans une crise existentielle. Craintif à l’idée de perdre son statut auprès de la princesse, il se laisse envahir par une angoisse absurde : “Et ma poudre est mal répartie sur mon visage !” crie-t-il.

Cette inversion de la hiérarchie des sexes et la satire de la société patriarcale prennent un relief particulier dans la mise en scène d'Agnès Jaoui. Pour elle, l’opéra, tout en étant une comédie baroque pleine de légèreté, a une portée bien plus profonde. “Ça résonne aujourd'hui de façon complètement incroyable”, confie-t-elle à l'AFP. En choisissant ce répertoire, l'actrice et réalisatrice, déjà connue pour son engagement féministe, met en avant une réflexion sur le pouvoir, le genre et l’identité. 

Un féminisme décalé et provocateur

Dans cette œuvre, le féminisme se présente sous un jour particulier, loin des clichés habituels. La domination féminine sur cette île n’implique pas une société pacifiée ou idéalisée, mais un système de pouvoir où la violence et l'angoisse de l'abandon font rage. “Je ne crois pas qu’un monde féminin serait plus doux, explique Agnès Jaoui. C'est un jeu de pouvoir en fait, la peur de devenir un esclave (...) que ce soit homme ou femme.” Le personnage de la princesse Cretidea, malgré son pouvoir absolu, ne fait pas exception à cette logique de domination.

Le spectacle met également en scène une fascinante histoire d’amour: Cretidea tombe amoureuse de Roberto, un naufragé masculin qui, arrivé sur l’île, refuse d’accepter que les femmes soient désormais plus puissantes que les hommes. Ce retournement de situation introduit un dilemme entre les valeurs de machisme et celles du féminisme, et pose une question centrale: qui, du macho ou de la féministe, sortira vainqueur de ce duel de pouvoir? Ce jeu de tensions, entre le désir d’égalité et les inégalités persistantes, crée une dynamique qui interroge les spectateurs sur les rapports entre les sexes, la domination et les libertés individuelles.

Un opéra de déconstruction sociale

Au-delà de la simple critique des rapports hommes-femmes, L'Uomo Femina est avant tout une réflexion sur les sociétés humaines et leurs systèmes de pouvoir. Le librettiste Pietro Chiari, auteur de l'œuvre, avait imaginé une époque où les femmes seraient les égales des hommes. À travers cette utopie renversée, l'opéra invite à la remise en question des normes et valeurs établies, tout en interrogeant la pérennité des rapports de domination sous toutes leurs formes. 

Agnès Jaoui, en choisissant de remettre cette œuvre sur le devant de la scène, réalise une démarche artistique ambitieuse: elle fait redécouvrir au public une pièce méconnue tout en l'invitant à réfléchir sur des thématiques profondément actuelles. “C’est une satire de notre société où l’on en prend plein la figure”, résume Vincent Dumestre, directeur musical du projet. 

Avec AFP

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