Les enjeux de l’élection américaine sont déterminants à plus d’un titre dans la mesure où leurs incidences vont se déployer sur un axe qui se structure aux croisements de l’intérieur et de l’extérieur. Les enjeux dans les deux cas de figure sont de toute importance parce qu’ils se rapportent à la paix civile dans une Amérique entièrement polarisée et à la paix mondiale remise en cause par les conflits russo-ukrainien, israélo-palestinien, la guerre civile au Soudan, les conflits du Sud-Est asiatique et de l’Amérique latine et de leurs doubles migratoires. C’est à partir de cette grille de lecture qu’il faudrait se pencher sur les intrications multiples de l’élection américaine et de ses conséquences disparates. La victoire écrasante de Donald Trump et de la révolution néo-conservatrice qu’il a mise en marche il y a une décennie est un tournant majeur dans la vie politique des États-Unis et dans les équilibres d’un monde en pleine mutation.
L’élection présidentielle aux États-Unis d’Amérique est de prime abord des plébiscites sur l’avenir de l’Union fédérale et sur sa viabilité, comme cela est stipulé dans la loi électorale ainsi que dans la cartographie politique où se dessinent les lignes de clivages entre les États rouges et les États bleus qui surplombent les conflits transversaux qui s’articulent sur la base des choix de société, de styles de vie et de recompositions identitaires. L’âpreté des conflits politiques en cours est principalement due à des visions irréconciliables du monde qui remettent en question la notion de république procédurale qui devrait arbitrer les différends sur la base de la discursivité de la démarche politique en démocratie constitutionnelle et pluraliste. Les différends éthiques, philosophiques, religieux et de style de vie se légitiment dans la mesure où ils font preuve de compatibilité avec les valeurs politiques de base sur lesquelles se fonde la citoyenneté et les liens civiques qui en émanent.
Les conflits politiques en cours questionnent la légitimité des institutions et entendent les subvertir au nom de choix idéologiques imperméables à la conversation qui devrait sous-tendre le débat politique encadré par les institutions et les principes régulateurs d’une république démocratique et libérale. Le bipartisme qui a réglementé la vie politique américaine a été contesté au nom de diktats idéologiques qui font fi du contrat social, des mécanismes d’arbitrage et d’adjudication et de la modération de principe qui devrait servir de garde-fou aux dérapages idéologiques. Cette clef d’interprétation nous permet de comprendre la nature des exacerbations idéologiques et leurs effets hautement délétères sur la paix civile aux États-Unis, c’est le fondement du lien politique et social qui est en question. Le choix opéré par les électeurs américains est déterminant et la révolution conservatrice en marche a fini par remettre en question la dérive wokiste des élites libérales qui ont manifesté leur rejet des valeurs de l’Amérique profonde qui incarne l’odyssée d’une nation pionnière qui s’est structurée autour de mythes fondateurs qui l’ont fédérée à l’insu d’une histoire aussi tourmentée que créative. Le parti démocrate, en faisant le choix de la rupture avec la saga américaine, a fini par être durement sanctionné par cette "racaille" blanche qu’il n’a cessé de conspuer.
La virulence du clivage idéologique est telle qu’elle compromet la stabilité de la fédération et la possibilité de la conversation civique. Ceci évoque la pertinente question posée par Elizabeth Willing Powel à Benjamin Franklin: "Eh bien, docteur, qu'est-ce qu'on a obtenu, une république ou une monarchie?", la réponse foudroyante du président Franklin: "Une république si vous arrivez à la maintenir." La grande question qui se pose après le raz-de-marée électoral de l’Amérique nationaliste redonne à la question du bipartisme et de la culture consensuelle toute son acuité. L’outrecuidance idéologique de la gauche wokiste essuie la défaite la plus cinglante et remet sur la sellette la question de la réémergence d’un nouveau consensus républicain qui mette fin à cette rupture radicale délibérément instituée par la gauche américaine.
Nous sommes confrontés à des choix de principe qui rendent compte de la gravité de l’enjeu électoral. La gauche du parti démocrate s’est départie du credo républicain, du patriotisme constitutionnel et de l’appartenance nationale américaine au bénéfice des diktats idéologiques du wokisme. Alors que la droite américaine, dans sa version patriote et populiste, se positionne à partir d’un credo nationaliste non négociable. Ceci explique largement l’extrême polarisation idéologique qui se traduit par le clivage électoral en cours où les Américains expriment leurs désaccords profonds sur les valeurs de base qui doivent régenter la vie publique. La victoire du patriotisme national le plus affirmé en dit long sur l’âpreté de la guerre culturelle en cours depuis des décennies. Cette prise d’assaut par les urnes est interpellante et invite les partis républicain et démocrate à tirer les leçons de cette restructuration politique qui va remodeler le paysage politique en profondeur.
L’arrivée tardive de Joe Biden au pouvoir aurait pu atténuer la sévérité du choc frontal et avoir un effet réparateur qui semble se dissiper au profit d’une gauche wokiste du côté des démocrates. L’arrivée de Donald Trump, au-delà du personnage, est symptomatique d’une rupture aussi bien politique, sociétale et anthropologique qui a sabordé les dérives d’un lien politique entièrement idéologisé. Le rôle éminemment pervers de Barak Obama et de la gauche wokiste du parti démocrate a contribué de manière décisive à la fragilisation de la culture bipartisane des deux côtés du spectre idéologique et politique, et à l’émergence d’une polarité idéologique sans concession.
Le rôle des États pivots (swing states, Géorgie, Caroline du Nord, Pennsylvanie, Wisconsin, Nevada, Arizona) a joué un rôle décisif dans le dénouement de l’élection, mais il n’est pas en mesure de tempérer les clivages idéologiques en cours qui vont croître tant que les diktats idéologiques vont prendre le relais et radicaliser les enjeux politiques. La victoire de Trump dans les États pivots (5/7) dénote la nécessité de revoir en amont la pertinence de la vision politique du parti démocrate qui se croyait avancer sur les décombres d’une Amérique profonde qu’il entendait détruire. L’unique alternative est celle de la reconstruction d’un paysage politique apaisé qui s’inscrit dans le prolongement de l’héritage constitutionnel et politique d’une nation qui a bâti sa stature sur une odyssée nationale, des choix nomothétiques, une culture institutionnalisée du consensus, de la subsidiarité et de la modération principielle.
La politique de la dérégulation migratoire, la discrimination tant idéologique qu’en matière de politique publique à l’endroit des natifs américains, les effets pervers de l’élitisme mondialiste et de la déréglementation du commerce mondial et la dévalorisation du récit et des mythes politiques fondateurs de la République américaine sont loin de faire l’unanimité dans un pays où le sens de l’appartenance nationale est suffisamment ancré pour céder la place à des élucubrations idéologiques. La faute de Kamala Harris, de Barak Obama et de Hillary Clinton, qui représentent la dernière génération d’un parti démocrate déculturé et entièrement coupé des mythes fondateurs de la nation américaine, est d’avoir ignoré délibérément cet enjeu, voire de l’avoir dévalorisé en faveur de leurs choix idéologiques et de leurs intérêts politiques et financiers. Le parti républicain, en se départant de son ancrage normatif et des valeurs du conservatisme américain, a fini par se séparer des milieux culturels qui lui ont donné consistance et présence. La victoire du populisme conservateur de Donald Trump est la réponse la plus franche et brutale à cette arrogance idéologique qui se voulait victorieuse à terme.
La «loi d’airain de l’oligarchie» a fini par fragiliser le socle anthropologique qui a fourni à la nation américaine sa raison d’être et son ethos républicain, quelles que soient les allégeances partisanes. Les États-Unis ont besoin de renouer avec leurs mythes fondateurs et avec la fonction structurante de la Constitution américaine et des canons institués par les pères fondateurs. La révolution conservatrice de Donald Trump et la défaite de la gauche wokiste qui s’est emparée du parti démocrate sont confrontées aux défis que pose cette mutation politique abrupte qui est, en somme, un appel à réinventer les modalités de coexistence entre des récits contrastés et les possibilités de réhabilitation d’une démocratie apaisée qui se ressource dans une histoire nationale foisonnante. Le conflit rendu visible lors de cette campagne électorale ne fait que récapituler les péripéties d’une guerre culturelle qui se pérennise et qui est en quête de registres politiques renouvelés.
La victoire du président Trump est interpellante à maints égards: les USA sont tenus par les engagements atlantistes scellés par une histoire tricentenaire où les valeurs républicaines et démocratiques sont puisées à l’héritage greco-romain, biblique et libéral dont se revendique la République américaine. Les crédos démocratiques et libéraux qui ont façonné la vie institutionnelle et politique rendent obligatoire l’arbitrage international de cette République «impériale et bienveillante» que sont les États-Unis, et avalisent son statut d’ultime recours en matière de résolution des conflits, de rétablissement des rapports de force et de négociation des pactes internationaux. La résolution des conflits en Ukraine, au Moyen-Orient, au Sud-Est asiatique ainsi qu’en Amérique latine ne peut s’effectuer que par l’intermédiation américaine. Les options stratégiques des USA sont dictées par l’histoire, les positionnements géostratégiques transcontinentaux et la vocation messianique de cet empire démocratique.
Commentaires