Les supputations sur la future politique américaine battent leur plein; d’aucuns parlent d’une retraite progressive et d’autres présument un interventionnisme sélectif et circonstancié. La politique protectionniste du président Trump s’étend du commerce international aux intérêts sécuritaires et stratégiques des États-Unis, tout en essayant d’éviter les engrenages guerriers et les enlisements conflictuels de longue durée.
Son bilan précédent porte à croire que nous sommes devant des scénarios d’interventionnisme sélectif et strictement proportionné aux intérêts sécuritaires des États-Unis. On n’est sûrement plus dans les scénarios des guerres préventives ou dans le cadre des schémas de reconstruction des États en faillite.
Les États-Unis, à la suite des déboires des guerres de reconstruction qui ont succédé à l’ère du terrorisme islamiste et de ses abcès de fixation géopolitique, se sont repliés sur des logiciels de circonstances étroitement liés aux contraintes géostratégiques et à leurs incidences sur leurs intérêts sécuritaires et leurs engagements internationaux. Le continuum entre intérêts sécuritaires et engagements sur la scène internationale restant à définir au cas par cas. Libéré des impondérables de la politique intérieure à la suite de la victoire électorale écrasante, Trump est en mesure d’opérer internationalement de manière moins contraignante.
Les dossiers qui s’imposent, d’ores et déjà, se rapportent à deux guerres en cours, à des zones géopolitiques névralgiques, des conflits qui se structurent sur des continuums stratégiques où se rejoignent la criminalité organisée, les mouvements terroristes, les guerres de subversion et les extrémismes idéologiques. Cette topographie des conflits aide à circonscrire les enjeux et les modes opératoires et à préempter les dilemmes aporétiques des politiques isolationnistes et de l’interventionnisme de nature impériale. La théorie des jeux est extrêmement utile dans un contexte où la permutation des variables fait appel à des exercices de jugement et de pondération continus.
Les administrations américaines se sont employées à ce genre d’exercices à la suite de l’échec des scénarios d’ingénierie politique inspirés par les bouleversements stratégiques induits par le terrorisme islamiste. En récapitulant les bilans respectifs des administrations s’étendant de l’ère Obama jusqu’à l’ère de Trump, on se rend compte que le schéma de Trump s’est avéré être le plus performant et le plus économique en matière d’engagement sur le terrain tout en sachant que l’alternance entre diplomatie et dissuasion de l’ère Biden était infiniment plus convaincante que celle de l’unilatéralisme idéologique de la diplomatie de l’époque Obama. Le grand écart entre les deux mandats tient à la part que jouent les rapports de force et la diplomatie dans la mise en œuvre de la politique étrangère.
La nouvelle ère Trump devrait aborder en premier la question de l’alliance transatlantique, de sa place angulaire au sein du dispositif géostratégique des démocraties occidentales. Quels que soient les différends en matière de gouvernance, de repositionnement dictés par la fin de la guerre froide et ses mutations idéologiques et stratégiques et de politiques budgétaires, les membres de l’Otan sont sommés de prendre acte de leur dette sécuritaire vis-à-vis des USA, des impératifs de réajustement institutionnel et budgétaire, et de redéfinir les nouvelles coordonnées normatives et géostratégiques de cette alliance.
Les Européens, dans leur recherche d’une autonomie sécuritaire renouvelée et légitime, ne peuvent pas l’effectuer en dehors du socle de valeurs et de l’interdépendance qui les réunit avec les États-Unis. L’ère Trump ne peut, sous aucun rapport, se départir des fondamentaux civilisationnels et culturels qui les relient à l’Europe et bien au-delà des défis géostratégiques inédits posés par le tandem russo-chinois, les alliances aléatoires et transitoires du Brics, les nouveaux enjeux du commerce international et les effets délétères du libre-échange. Le nouveau mandat du président Trump s’achemine inévitablement vers un nouveau positionnement et de nouveaux équilibres mandatés par des changements tant idéologiques que stratégiques.
L’hypothèse d’un désengagement de l’administration Trump à l’endroit de l’Ukraine est invraisemblable, alors que la probabilité d’une négociation arbitrée semble plus plausible. À défaut, la nouvelle administration pourrait changer de position de manière drastique et poursuivre l’aide militaire à l’Ukraine. La stratégie offensive de Poutine se nourrit des illusions d’un contre-ordre mondial qu’il croit inventer, alors que les aléas conjugués (démographique, financier, économique, écologique, politique, militaire…) croissent de manière exponentielle, et les multiples dépendances logistiques et militaires à l’égard de la Chine, de l’Iran et de la Corée du Nord se multiplient. Les intérêts divergents avec la Chine, les déboires d’un régime iranien en fin de parcours et les gesticulations creuses du régime nord-coréen finiront par tempérer les délires. Le volontarisme du président Trump est soumis aux contraintes de la nouvelle guerre froide et à l’étroitesse de ses marges manœuvrières, on n’est plus dans la diplomatie des relations interpersonnelles. La réduction du champ de manœuvre de Poutine est le meilleur gage en vue de rendre possible l’issue diplomatique: le dictateur russe est un «gangster et non un suicidaire» en quête de porte de sortie.
Le sous-continent latino-américain ne sera pas épargné par les mutations en cours aux États-Unis qui vont se traduire par de nouvelles dynamiques électorales et politiques qui remettreront en cause les blocages politiques et institutionnels et les verrouillages imposés par une gauche discréditée, héritière de récits idéologiques caducs (la Utopia desarmada), des régimes corrompus, des gouvernements ineptes, des échecs de gouvernance cumulés et des États prédateurs. La géostratégie est contraignante et finira par imposer ses choix. Le combat contre le nouvel axe se fera au croisement des urnes, des régimes de sanctions économiques et de combat frontal avec les dictatures politico-mafieuses, le terrorisme d'État et les acteurs de la criminalité organisée.
Le contexte du Moyen-Orient est aux prises avec des dynamiques endogènes qui peuvent difficilement donner lieu à des politiques de désescalade. La guerre génocidaire du 7 octobre 2023 ne relève pas du fait divers, mais elle relève d’une stratégie délibérée basée sur de faux calculs qui ont entièrement foiré. La contre-offensive israélienne, loin de se contenter de la sanctuarisation de ses frontières au Sud et au Nord, a infléchi son cours en s’attaquant désormais aux sources des menaces stratégiques pilotées par le régime islamiste iranien. Dans sa lutte pour la survie, Israël a réussi une gageure qui a changé la donne géostratégique et politique dans une région immobilisée par deux décennies de conflits non résolus qui se situent en amont des vagues migratoires et des aléas sécuritaires et stratégiques qui leur sont rattachés. La diplomatie de crise centrée sur les questions humanitaires ne peut se substituer à l’impératif de trouver un règlement négocié à des enjeux sécuritaires et stratégiques de grande envergure.
La destruction systématique de la ceinture du feu projetée par la stratégie des «théâtres opérationnels intégrés» mise en œuvre par le régime iranien est reliée à la neutralisation de la menace nucléaire iranienne. Les failles de la politique de subversion du régime iranien sont doublées par la crise diffuse de légitimité du régime iranien et ses incidences délétères sur sa stature géopolitique et militaire. La diplomatie intercalaire du président Biden n’a jamais été dissociée de sa stratégie de dissuasion à l’égard de l’Iran et de modulation de la contreoffensive israélienne. Selon toute présomption, la politique de l’administration Trump bénéficiera d’une latitude opérationnelle qui lui permettra d’obtenir des concessions stratégiques ou d’entériner ex post facto le renversement d’un régime iranien en fin de parcours. Les aléas du scénario de désescalade plaident en faveur d’une stratégie hybride qui s’inscrit sur un continuum politico-militaire et un scénario de transition minutieusement coordonné entre les acteurs de l’intérieur et de l’extérieur.
Contrairement au scénario d’une Amérique qui va se retrancher derrière ses frontières, nous sommes face à un interventionnisme sélectif qui s’appuie sur un front intérieur fort de mandats électifs qui s’étendent sur l’ensemble des institutions et d’un nouveau consensus idéologique qui a battu en brèche les élucubrations idéologiques du wokisme et ses effets destructeurs. La cohésion politique interne va favoriser le lancement d’une dynamique politique extérieure dont les conséquences vont redessiner les configurations géostratégiques transcontinentales et redonner de l’élan à la libéralisation politique dans les nouveaux pays du Rideau de fer. Le volontarisme politique du président Trump et son culte de l’exorcisme politique vont buter sur les nouvelles réalités de la guerre froide, les glacis stratégiques qu’elle va imposer et l’inévitabilité des politiques d’endiguement à géométrie variable qu’elle va engendrer.
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