Ceci est bien connu dans le domaine de la psychologie… Le déni d’une situation donnée est un mécanisme classique de défense face aux échecs et aux revers subis. Il ne faudrait donc pas tenir rigueur au secrétaire général du Hezbollah, cheikh Naïm Kassem, lorsqu’il affirme sans ambages – à l’unisson avec les hauts responsables et la base populaire de sa formation – que durant ces deux mois de conflit généralisé avec Israël, le parti pro-iranien a remporté une victoire “plus grande” que celle de 2006 (!). Celle-ci avait pourtant été déjà qualifiée à l’époque de “victoire divine” par Hassan Nasrallah. Dix-huit ans plus tard, il faudrait ainsi se laisser aller à l’imagination la plus fertile pour tenter de percevoir de quelle façon ce stade “divin”, atteint en 2006, a été dépassé dans le bilan de cette guerre en tous points dévastatrice dans laquelle a été entraîné le Liban, à son insu…
Cette posture d’ordre psychologique adoptée pour les besoins de la consommation interne ne devrait pas nous empêcher pour autant d’établir un constat “à froid” de la situation atteinte après plus de deux mois de conflit. Sur le papier, l’accord de cessez-le-feu, entré en vigueur (en principe) le 27 novembre dernier, ne fait que reprendre la résolution 1701 du Conseil de sécurité de 2006 qui interdisait déjà la présence milicienne du Hezbollah au sud du Litani. À l’époque, le parti chiite avait réussi, discrètement mais sûrement, à vider la résolution onusienne de son contenu et à rétablir progressivement son déploiement militaire à la frontière avec Israël.
En théorie, rien n’empêcherait qu’un tel scénario se répète. Sauf que cheikh Naïm Kassem prend soin d’occulter que cette fois-ci la mise en application des termes de la 1701 est placée sous une très haute supervision israélo-américaine: un général US préside le comité chargé de contrôler le respect du dispositif global de l’accord du 27 novembre (qui inclut le désarmement du Hezbollah bien au-delà du sud du Litani); de surcroît (et c’est là le point essentiel), Israël a obtenu le droit, sur base du document annexe conclu avec les États-Unis, d’intervenir militairement en cas de violation par la formation pro-iranienne des dispositions prévues dans l’accord.
La victoire “au-delà du divin” de ces deux mois de guerre se passe ainsi de commentaire, car les faits parlent d’eux-mêmes: parallèlement à l’élimination de son charismatique et très populaire secrétaire général et de la quasi-totalité de son directoire politique et militaire de haut rang (sans compter les autres pertes en vies humaines et les vastes destructions), le Hezbollah a échoué dans la réalisation du double objectif qu’il s’était fixé au départ, le 8 octobre 2023, en réactivant le font du Sud, à savoir réduire la pression militaire sur le Hamas et maintenir “l’unité de front” entre le Sud et Gaza, comme s’y était solennellement engagé Hassan Nasrallah. Et, pour compléter le tableau, il se retrouve lié à un accord dont l’aboutissement, sous supervision israélo-US, devrait être l’élimination de son appareil milicien et, a fortiori, de son rôle de “résistance” qu’il s’était octroyé manu militari il y a de nombreuses années.
En quelques petites semaines, l’aventure guerrière lancée à l’instigation du pouvoir des mollahs iraniens a eu pour résultat la destruction d’une très grande partie de l’infrastructure militaire du Hezb construite pendant plus de deux décennies dans plusieurs régions du pays, à coups de centaines de milliards de dollars investis à cet effet par Téhéran. Il faudra sans doute autant de temps, et encore plus de fonds, au nouveau directoire du parti pour reconstruire ce qui a été détruit et défait ces deux derniers mois. Mais c’est sans compter la nouvelle donne géopolitique qui se dessine à l’horizon régional…
Les combats et les événements dramatiques dont la Syrie est le théâtre depuis quelques jours confirment les informations rapportées de différentes sources. Celles-ci font état d’une décision internationale d’éradiquer la tutelle iranienne sur la région, qui a émergé par le biais de la mise sur pied de proxys dans au moins quatre pays arabes. Après le sérieux revers subi par Téhéran au Liban, les développements en Syrie pourraient évoluer vers une situation chaotique “à la libyenne”. Cela ne manquerait pas de rogner fortement les ailes des pasdarans en territoire syrien et, surtout, d’entraver dans une large mesure – à défaut d’interrompre – l’acheminent d’armes et de munitions au Hezbollah, l’aviation israélienne se chargeant alors, le cas échéant, de combler toute brèche sur ce plan à la frontière syro-libanaise.
Avec le bilan de la guerre au Liban, suivie des bouleversements en Syrie, et dans l’attente de ce qui pourrait se produire, fort probablement, en Irak et au Yémen, sans compter ultimement en Iran, c’est peut-être un nouveau Moyen-Orient qui se profile à l’horizon. Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, l’a d’ailleurs publiquement annoncé. Les factions libanaises souverainistes sauront-elles dans un tel contexte saisir la balle au vol et convenir entre elles d’une feuille de route afin que le futur du Liban soit en phase avec le nouvel ordre moyen-oriental en gestation? Aujourd’hui, le pays n’a d’autre choix que de relever ce défi…
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