Syrie: Abou Mohammad al-Jolani, un radical pragmatique
Abu Mohamed al-Jolani, chef de Hayat Tahrir al-Sham (HTS), un groupe djihadiste dirigé par l'ancienne branche syrienne d'Al-Qaïda, s'exprime lors d'une conférence de presse dans la région de Bab al Hawa, au nord de la Syrie, tard le 12 mars 2024. ©OMAR HAJ KADOUR/AFP

Abou Mohammad al-Jolani, le chef islamiste de la coalition rebelle ayant chassé en quelques jours le pouvoir de villes clés de Syrie, est passé d’un vocabulaire fondamentaliste à une parole qui se veut modérée pour parvenir à ses fins.

Le leader de Hay’at Tahrir al-Sham (HTS), ex-branche d’al-Qaïda en Syrie, s'est fixé comme objectif de faire tomber le président Bachar al-Assad, au pouvoir depuis 2000.

"Le but de la révolution, c'est de renverser ce régime. Nous avons le droit d'utiliser tous les moyens nécessaires pour l'atteindre", a-t-il déclaré dans une interview publiée vendredi par CNN.

Grand, bien charpenté, une barbe noire et l'œil vif, il a abandonné progressivement le turban des jihadistes dont il se coiffait au début de la guerre pour un uniforme militaire et parfois pour un costume civil.

Mercredi, il s’est offert un bain de foule à la citadelle historique d'Alep, la deuxième ville de Syrie, après sa prise par ses combattants.

Depuis la rupture avec al-Qaïda en 2016, Jolani tente de lisser son image et de présenter un visage plus modéré, sans trop convaincre les analystes ou encore les chancelleries occidentales qui classe HTS groupe terroriste.

"C'est un radical pragmatique", affirme à l'AFP Thomas Pierret, un spécialiste de l'islamisme en Syrie.

"En 2014, il a été au sommet de sa radicalité pour s'imposer face à la frange radicale de la rébellion et de l'organisation (jihadiste) État islamique, pour ensuite modérer ses propos", explique ce chercheur au CNRS.

Né en 1982, Ahmed al-Chareh, vrai nom de Jolani, a grandi à Mazzé, un quartier cossu de Damas, dans une famille aisée. Et il a commencé des études de médecine.

Dans la foulée de l’offensive rebelle lancée le 27 novembre, Jolani a commencé à signer de son vrai nom.

"Les premiers signes"

En 2021, il a expliqué dans une interview à la chaîne publique américaine PBS, que son nom de guerre – Abou Mohammed al-Jolani- était une référence à ses origines familiales dans les hauteurs du Golan (al-Jolan en arabe).

Selon lui, son grand-père a été déplacé du Golan après qu’Israël a conquis en 1967 une grande partie de ce plateau syrien.

D’après le site Middle East Eye, c’est après les attentats du 11-septembre que "les premiers signes de jihadisme commencèrent à apparaître dans la vie de Jolani, lequel commença à assister à des sermons et des tables rondes secrètes dans les banlieues marginalisées de Damas".

Après l’invasion américaine de l'Irak en 2003, il part combattre dans ce pays voisin de la Syrie, où il rejoint le groupe Al-Qaïda en Irak d'Abou Moussab al-Zarqawi avant d'être emprisonné durant cinq ans.

Après le début de la révolte contre M. Assad en 2011, il rejoint son pays natal pour y fonder le Front al-Nosra, qui deviendra HTS.

En 2013, il refuse d’être adoubé par Abou Bakr al Baghdadi, futur chef de l’EI, et lui préfère l'émir d'al-Qaïda, Ayman al-Zawahiri.

"Homme d’État en devenir ?”

Réaliste selon ses partisans, opportuniste selon ses adversaires, il affirme en 2015 n'avoir pas l'intention de lancer des attaques contre l'Occident, contrairement à l'EI.

Lorsqu’il rompt avec al-Qaïda, il dit le faire pour "ôter les prétextes avancés par la communauté internationale" d'attaquer son organisation.

Depuis, il poursuit "sur une ligne de crête son chemin d'homme d'État en devenir", dit M. Pierret.

Optant pour le gant de velours dans une main de fer, il impose en janvier 2017 aux rebelles radicaux du nord syrien, une fusion au sein de HTS. Il met en place une administration civile et multiplie les gestes envers les chrétiens dans la province d'Idleb (nord-ouest) que son groupe contrôle depuis deux ans.

C’est là où HTS a été accusé par des habitants, des proches de détenus et des défenseurs des droits humains d’exactions qui s'apparentent selon l'ONU à des crimes de guerre, provoquant des manifestations il y a quelques mois.

Après l'offensive, Jolani a cherché à rassurer les habitants d’Alep, qui compte une importante communauté chrétienne. Et il a appelé ses combattants à préserver "la sécurité dans les régions libérées".

"Je pense que c’est avant tout une question de bonne politique. Moins les Syriens et la communauté internationale auront peur, plus Jolani apparaîtra comme un acteur responsable plutôt que comme un extrémiste jihadiste toxique et plus sa tâche sera facile", assure le chercheur Aron Lund.

"Est-ce totalement sincère ? Certainement pas. Ce type vient d’une tradition fondamentaliste religieuse très dure. Mais ce qu'il fait, c’est la chose intelligente à dire et à faire en ce moment".

Avec AFP

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