L’après-Assad: une équation à plusieurs inconnues
©Sameer Al-Doumy / AFP

Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, l’avait affirmé bien avant la chute de Bachar el-Assad, soulignant qu’un nouveau Moyen-Orient point à l’horizon. Le président élu Donald Trump avait déjà annoncé la couleur sur ce plan lors de sa bataille présidentielle, insistant à plusieurs reprises sur sa détermination à établir la paix dans cette partie du monde en proie depuis plus de sept décennies à des conflits armés et des gesticulations guerrières manifestement stériles – du moins du côté arabe.

La dynamique promise semble plus rapide que prévu. Telle est, au stade actuel, la perception qui se dégage des bouleversements drastiques qui se sont accélérés durant ces dernières semaines. Il aura fallu deux mois à Israël pour ébranler profondément tout l’appareil du Hezbollah, pour détruire l’essentiel de l’infrastructure patiemment mise en place au Liban, pendant quarante ans, par les Gardiens de la révolution islamique iranienne. Et, comme dans un enchaînement savamment orchestré, il aura fallu ensuite à peine une dizaine de jours à la rébellion syrienne, activement soutenue par la Turquie – avec vraisemblablement l’assentiment des États-Unis et d’Israël – pour mettre fin à un demi-siècle de tyrannie du clan Assad. C’est dire que cette genèse du nouveau Moyen-Orient paraît se développer au pas de charge…

Dans l’attente de la tournure que pourraient prendre prochainement les événements en Iran (avec le dossier nucléaire), mais surtout en Irak et au Yémen – où les proxys iraniens continuent de sévir –, les regards sont braqués dans l’immédiat sur la Syrie pour y scruter l’évolution du rapport de forces locales et régionales et pour percevoir, comme conséquence directe, la physionomie de l’ère post-Assad.

D’emblée, quelques évidences surgissent et esquissent d’ores et déjà les contours de la nouvelle situation socio-géopolitique qui vient de poindre à l’horizon. La chute de Damas aux mains des rebelles a constitué un coup particulièrement dur – qui pourrait être fatal – à la stratégie d’exportation de la Révolution islamique qui avait été initiée et lancée par les pasdarans au lendemain de l’arrivée de l’ayatollah Khomeiny au pouvoir, en 1979. Au fil des ans, l’élaboration de cette stratégie a reposé sur deux paramètres essentiels: d’une part, le rôle fondamental des régimes syrien et irakien comme verrous stratégiques et plaques tournantes de l’expansionnisme des pasdarans; d’autre part, la mise en place de proxys dans quatre pays arabes (sans compter Gaza), avec comme fer de lance le Hezbollah, pour servir d’instruments locaux de confrontation avec les États-Unis et Israël, de manière à croiser le fer avec le camp occidental en évitant une confrontation frontale bilatérale avec l’État hébreu.  

Cette stratégie s’est accompagnée d’une iranisation galopante (pour ne pas parler de chiitisation) des sociétés irakienne, syrienne, libanaise et yéménite, avec son concert de déplacements de population et de bouleversements démographiques. En moins de trois mois, les Gardiens de la révolution iranienne ont perdu les deux grands piliers de cette stratégie: le régime syrien et la capacité de nuisance du Hezbollah. Les alaouites, principal pôle de l’alliance des minorités ayant pour centre de gravité Téhéran, ont ainsi perdu – et pour très longtemps sans doute – le pouvoir, après plus de cinquante ans de domination, et la composante sunnite effectue un retour en force sur les bords du Barada.

Ce développement spectaculaire a brisé, par le fait même, le “croissant chiite” (iranien) contre lequel avait mis en garde le roi Abdallah II de Jordanie en… décembre 2004, déjà! En termes géostratégiques, ce changement de cap radical se traduit par un net repli des pasdarans et l’émergence d’un rôle clé de la Turquie en plein cœur du Proche-Orient. Une nouvelle équation se met ainsi en place, une équation à plusieurs inconnues. Le régime islamique d’Ankara cherchera-t-il à favoriser la prise du pouvoir à Damas par les courants islamistes radicaux, semant ainsi les germes d’une autre forme de déstabilisation rampante qui ne fera que relancer une autre situation conflictuelle avec les États-Unis et Israël? Ou, bien au contraire, le président Recep Tayyip Erdogan se montrera-t-il pragmatique en faisant pencher la balance en faveur de l’aile modérée et “libérale” (?) du nouveau pouvoir syrien, ouvrant ainsi la voie à des relations cordiales et constructives avec les pays voisins, dont notamment le Liban, et pourquoi pas Israël?

Cette dernière option nécessitera, à l’évidence, le cas échéant, une entente, un partage du gâteau entre les États-Unis, Israël et la Turquie, et sans doute aussi l’Arabie saoudite (autre puissance sunnite de la région, qui ne saurait être négligée, avec les pays du Golfe). Le courant radical en Iran, en l’occurrence les pasdarans, admettra-t-il pour autant son échec? Se laissera-t-il convaincre de la nécessité d’engager enfin le peuple iranien sur la voie d’un redressement sociétal et économique tant attendu pour rétablir à l’Iran sa gloire et sa prospérité d’antan? Ou, au contraire, les pasdarans s’emploieront-ils à tenter de grignoter patiemment le terrain perdu en réitérant le précédent avec Hamas et en établissant des liens avec les dogmatiques djihadistes syriens, figés dans une posture belliqueuse, anti-occidentale et foncièrement anti-israélienne?

Ce danger, réel, d’un possible retour du balancier ne pourrait être définitivement écarté qu’en neutralisant totalement le funeste cerveau obstructionniste établi en Iran. À cette fin, le président Trump et, dans son sillage, le gouvernement israélien mettront-ils à exécution leur projet de nouveau Moyen-Orient fondé sur une paix durable et équilibrée, dont le passage obligé est un retour à la solution à deux États prévu par le processus d’Oslo? Au grand dam de l’extrême droite israélienne, telle est la seule voie aujourd’hui possible pour éviter aux populations de la région une nouvelle montée aux extrêmes, mortifère et destructrice à plus d’un égard.

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