Symbole absolu de la grandeur musicale, Beethoven est à la fois le révolutionnaire, le visionnaire, mais par-dessus tout un humaniste en quête de rédemption. Ses ultimes œuvres, notamment la Missa Solemnis, la IXe Symphonie et ses derniers Quatuors sont le reflet d'une spiritualité nourrie par ses luttes intérieures et son rapport à la souffrance et à Dieu. À l'occasion de la commémoration de l'anniversaire de ce “sourd [qui] entendait l’infini”, retour avec Bernard Fournier sur les pas de ce géant à la recherche de salut et de rédemption.
Ludwig van Beethoven (1770-1827). Ou tout simplement Beethoven. Un nom que l'on associe naturellement à l'absolu, à la grandeur créatrice sans compromis, à cet Héraclès des temps nouveaux qui a su, face à la souffrance, offrir au monde une œuvre exaltant une “spiritualité humaniste”, selon les termes de Bernard Fournier, grand spécialiste européen de l’œuvre du maître allemand. Pourtant, derrière cette image de titan, se dissimule une autre réalité, plus complexe et tout aussi bouleversante: celle d’un homme tourmenté en quête incessante de rédemption. Bien plus qu'un créateur, Beethoven fut un être profondément humain, dans le sens le plus sacré du terme, un mortel aux prises avec ses luttes intérieures, rongé par la culpabilité et l'isolement, et marqué par sa condition humaine. Ce que l’on surnomme, à juste titre, son “génie” n’est pas né uniquement de la lumière, mais aussi des ténèbres dans lesquelles il s’est souvent perdu, cherchant sans relâche une forme de salut à travers son imaginaire sonore. Comme pour conjurer le mauvais sort.
Ses chefs-d’œuvre testamentaires, en particulier la Missa Solemnis et la IXe symphonie en ré mineur, dont on célèbre cette année le bicentenaire, de même que ses derniers Quatuors, témoignent de ce désir ardent de réconciliation avec lui-même, mais aussi avec le monde et surtout avec Dieu. À travers ces chants de l’âme, Beethoven inscrit sa quête “religieuse” dans une œuvre dont la grandeur réside, non plus dans son architecture musicale – pourtant ingénieuse –, mais dans la profondeur du chemin spirituel qu'elle trace. En ce 16 décembre, à l’occasion de l'anniversaire du génie de Bonn, nous rendons hommage à deux voix, avec Bernard Fournier, à celui qui mérita, sans l'ombre d'une hésitation, de porter la “tiare du pape de la musique religieuse” – pour reprendre une fois de plus les mots du musicologue français –, voire de la musique universelle.
Acte de foi
En dépit des apparences d’une personnalité sûre de soi et autoritaire, Beethoven était en proie au doute et a éprouvé tout au long de son évolution un sentiment de culpabilité de plus en plus profond. C’est tout d’abord par procuration qu’il a vécu ce sentiment. “Face à son père coupable de le maltraiter, il s’est tu et jamais il ne s’est plaint de lui, jamais il n’a écrit un mot contre lui”, affirme Bernard Fournier pour Ici Beyrouth. “Il a simplement assumé le rôle de ce père défaillant en prenant en charge sa famille à l’âge de quatorze ans, endossant ainsi implicitement, par procuration, la culpabilité de cet homme”. Puis, plus tard, il s’est mis lui-même en situation de se sentir coupable lorsqu’il a, en quelque sorte, enlevé son neveu Karl à sa belle-sœur Johanna, après la mort de son frère Kaspar Anton Karl van Beethoven, en 1815.
“C’est à partir de cette date que Beethoven se rapproche de Dieu pour aboutir à son acte de foi, pas très orthodoxe, mais d’une grande puissance et profondeur, la composition de la Missa Solemnis (1819-1822) dans laquelle il accorde une place particulièrement importante à l’idée de péché et à la demande de rédemption”, explique l’expert beethovénien, auteur d'une thèse d’État sur Beethoven et la modernité (1993) et d'une somme de références sur l’Histoire du quatuor à cordes (2000-2010) publiée aux éditions Fayard. Cette demande se traduit, selon lui, par le traitement expressif du mot eleison dans le Kyrie de la Messe solennelle, le motif choisi à cet effet – construit autour d’un intervalle de quarte – constituant un des deux motifs générateurs de toute la messe. Dans cette œuvre titanesque, le compositeur instaure ainsi un dialogue aux multiples facettes entre “l’homme pécheur, mais volontaire” et “Dieu miséricordieux, mais tout-puissant et possiblement terrifiant”.
Éternité d’âme
Ajoutons que Beethoven attache une importance sans précédent au mot miserere dans le verset Qui tollis peccata mundi, miserere nobis du Gloria (Toi Qui portes les péchés du monde, aie pitié de nous), ainsi que dans le premier verset de l’Agnus Dei sur les mêmes mots (Agnus Dei Qui tollis peccata mundi, miserere nobis). “Des deux significations du verbe tollere, toute la mise en scène beethovénienne montre qu’il choisit le sens de ‘porter’ et non pas d’effacer”, fait remarquer Bernard Fournier qui vient de publier, en avril dernier, une étude de 494 pages, intitulée La Missa Solemnis de Beethoven. Immanence et transcendance (2024), publiée aux éditions de l’Institut du Tout-Monde.
Ce sont là quelques-uns des passages les plus poignants de la Messe en ré majeur et l’on sent combien Beethoven, se sentant pécheur, est obsédé par l’idée de pardon et de rédemption, comme il l’est par l’idée d’éternité: éternité de son œuvre, éternité de son âme. “Celle-ci sera exprimée dans la coda du Credo avec sa figuration d’une échelle de Jacob musicale”, souligne le musicologue octogénaire. Par ailleurs, son sentiment de culpabilité par rapport à l’adoption forcée de Karl se traduit aussi par les sentiments ambigus qu’il exprime pour Johanna qui, après avoir été traitée comme une ennemie, devient celle par l’affection de laquelle il espère obtenir la rédemption. “Elle viendra, en tout cas, couper une mèche de ses cheveux sur son lit de mort, pardon qui vaut rédemption?”, s’interroge Bernard Fournier. Une ultime tentative, du moins, même à l’ombre de la mort, de lever le poids d’une culpabilité qui ne se serait jamais dissipée.
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