L’affaire des islamistes arrêtés et emprisonnés au Liban refait surface aujourd'hui, après la chute du régime de Bachar el-Assad, le 8 décembre 2024. Des appels à les libérer commencent à être lancés et à se faire de plus en plus pressants. Le Premier ministre sortant, Najib Mikati, a en outre laissé entendre, mardi, qu’une amnistie était possible. Mais dans quelles conditions et sur quelles bases?
Le mardi 10 décembre 2024, des dizaines de familles de détenus originaires du nord, du sud du Liban et de la Békaa ont manifesté devant l’entrée de la prison centrale de Roumieh, pour réclamer la libération de tous les islamistes et l’adoption d’une loi d’amnistie générale.
Elles ont souligné que les raisons des poursuites n’étaient plus valables après la chute du régime Assad, du moment que leur emprisonnement était motivé par leur “soutien à la révolution syrienne”.
Les manifestants ont affirmé que le moment était plus que jamais propice pour envisager leur libération.
Selon des sources sécuritaires, 482 détenus libanais, syriens et palestiniens sont incarcérés dans le bloc B de la prison centrale de Roumieh. Parmi eux, 25 ont été condamnés à mort, 75 à la réclusion à perpétuité, tandis que les autres attendent toujours leur procès.
Ces individus étaient impliqués dans des attentats à la bombe à Roueiss, Bourj el-Barajneh, Haret Hreik et dans d’autres régions du Liban entre 2003 et 2020, ainsi que dans la bataille de Nahr el-Bared, la guerre entre Jabal Mohsen et Bab el-Tabbaneh, et les incidents de Abra et Ersal. Certains avaient été accusés d’appartenir à des cellules terroristes affiliées aux deux formations jihadistes, le groupe État islamique et le front Al-Nosra, notamment ceux ayant combattu en Syrie avant de venir au Liban, où ils ont été arrêtés et jugés par le tribunal militaire de Beyrouth. D’autres ont manifesté leur soutien au soulèvement populaire en Syrie, en 2011, et mené des mouvements de protestation contre le régime syrien.
Léa Baroudi, fondatrice de l'ONG March, a mis l’accent, dans un entretien accordé à Ici Beyrouth, sur la nécessité de “distinguer un prisonnier ayant commis des crimes d’un prisonnier politique”. Cette distinction doit, selon elle, “constituer le point de départ pour aborder correctement le dossier et lui trouver une solution efficace, sans créer un nouveau problème”.
Elle a précisé que bon nombre de ces détenus, originaires du nord du Liban et de Saïda, “ne viennent pas de régions spécifiquement marquées par des conflits politiques”. “Certains ont commis des crimes, contrairement à d’autres”, a-t-elle poursuivi, en insistant sur le fait que “ce dossier ne peut pas être traité de manière arbitraire”. “L’État doit assumer ses responsabilités et accélérer le processus de jugement, car la plupart n’ont pas encore été jugés”, a-t-elle déploré.
Léa Baroudi a souligné que “de nombreuses personnes ont été libérées après 5 ou 6 ans de détention, après avoir été reconnues innocentes”, et fait état d’un manque de rigueur dans le processus judiciaire. “Il s’agit d’un problème qui ne se serait pas posé s’il y avait un véritable État de droit”, a-t-elle encore dit. Elle a estimé que le principal problème réside dans “l’application injuste de la loi”, jugeant qu’aujourd’hui, un examen minutieux de chaque dossier est nécessaire.
“Si nous ne parvenons pas à établir un véritable contrat social, fondé sur la reconnaissance des erreurs du passé, il y a un problème”, a averti Mme Baroudi. Elle a précisé qu’une personne suivant rigoureusement les principes et les règlements islamiques est qualifiée d’islamiste, “ce qui n’est en aucun cas contraire aux lois libanaises”, tant qu’elle ne porte atteinte à aucune autre religion et qu’elle ne s’implique pas dans des activités condamnées par ces mêmes lois.
Léa Baroudi a relevé que, dans certains cas, “les détenus risquent de se radicaliser davantage en prison, où les centres de réhabilitation sont inexistants.” Elle a mis en lumière un point crucial: si les détenus se radicalisent davantage, ils mettront en péril la paix civile à l’avenir.
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