La Géorgie a investi dimanche un nouveau président, contesté dans la rue mais loyal au pouvoir contrairement à la cheffe de l'Etat sortante, nouvel épisode d'une crise politique en cours depuis des semaines, marquée par des manifestations pro-européennes d'ampleur.
Mikheïl Kavelachvili, ancien footballeur connu pour ses positions ultraconservatrices et anti-occidentales, a prêté serment au Parlement pour succéder à Salomé Zourabichvili, une partisane de la contestation. Il a été élu le 14 décembre par un collège électoral contrôlé par le parti au pouvoir, Rêve géorgien.
"Notre histoire montre clairement qu'après d'innombrables luttes pour défendre notre patrie et nos traditions, la paix a toujours été l'un des principaux objectifs et l'une des principales valeurs du peuple géorgien", a déclaré M. Kavelachvili dans son discours, alors que son camp se présente comme un rempart contre l'Occident qui voudrait entraîner Tbilissi dans la guerre entre la Russie et l'Ukraine.
Il a également appelé au respect de "nos traditions, nos valeurs, notre identité nationale, du caractère sacré de la famille et de la foi".
Quelques minutes plus tôt, après avoir laissé planer le suspense sur ses intentions, la présidente sortante avait finalement annoncé quitter le palais présidentiel, tout en se disant toujours la "seule présidente légitime" du pays et promettant de continuer la lutte.
"Je reste la seule présidente légitime de la Géorgie", a-t-elle déclaré face à une foule de partisans. "Je vais quitter le palais présidentiel pour me tenir à vos côtés, portant avec moi la légitimité, le drapeau et votre confiance", a-t-elle ajouté.
Au moins 2.000 personnes étaient rassemblées dimanche matin devant ce bâtiment, et scandaient avant ce discours "Géorgie" et "Salomé", selon des journalistes de l'AFP.
La Géorgie, pays du Caucase et de l'ex-URSS, est dans la tourmente depuis les élections législatives du 26 octobre, remportées par le parti du Rêve géorgien, au pouvoir depuis 2012, mais dénoncées comme truquées par l'opposition pro-occidentale. Celle-ci, leurs partisans dans la rue et Mme Zourabichvili réclament un nouveau scrutin.
La situation a été exacerbée le 28 novembre lorsque le Premier ministre, Irakli Kobakhidzé a annoncé reporter les efforts d'intégration à l'UE de son pays à 2028, déclenchant des manifestations pro-européennes quotidiennes qui n'ont pas cessé depuis et qui réunissent des milliers de personnes.
Avec le départ de Mme Zourabichvili, les manifestants perdent leur principal soutien au sein des institutions. Bien que limitée par des prérogatives restreintes, la présidente sortante a apporté tout son soutien à la rue et joué de son influence, notamment à l'international, pour accroître la pression sur le Rêve géorgien et tenter d'obtenir l’organisation de nouvelles législatives, ce que le gouvernement continue de refuser.
Cette ancienne diplomate française avait ainsi rejoint les manifestants pro-UE samedi pour une chaîne humaine qui a rassemblé plusieurs milliers de personnes sur les rives de la rivière traversant Tbilissi.
Sanctions occidentales
Le Rêve géorgien dément de son côté toute fraude aux législatives et accuse l'opposition de vouloir provoquer une révolution, selon lui, financée de l'étranger.
Le Premier ministre Irakli Kobakhidzé avait prévenu que si Mme Zourabichvili refusait de quitter le palais présidentiel, cela "constituerait une infraction pénale passible de nombreuses années d'emprisonnement".
Au cours des dix premiers jours de manifestations à Tbilissi fin novembre et début décembre, la police a dispersé la foule à coup de canons à eau et de gaz lacrymogène. Des manifestants ont, pour leur part, tiré des feux d'artifice et jeté des pierres et d'autres objets sur les forces de l'ordre.
Les manifestations restent quotidiennes, mais les affrontements sont beaucoup plus rares.
Au total, plus de 400 personnes ont été arrêtées, dont des meneurs de l'opposition, et des dizaines de policiers ont été blessés. Le commissaire géorgien aux droits humains, Levan Iosseliani, a fait état de "tortures" de détenus par les forces de l'ordre.
La semaine dernière, les États-Unis et le Royaume-Uni ont imposé des sanctions à plusieurs hauts responsables géorgiens. Vendredi, Washington a annoncé avoir pris de telles mesures à l'encontre cette fois du milliardaire Bidzina Ivanichvili, considéré comme celui qui tire les ficelles du Rêve géorgien.
Au-delà de la crise actuelle, le Rêve géorgien est accusé par ses détracteurs d'avoir abandonné un programme libéral et pro-européen initial au profit d'une dérive autoritaire et de vouloir tourner le pays vers Moscou.
Au pouvoir depuis plus de dix ans, ce parti a voté cette année des lois controversées similaires à celles existants en Russie, visant la société civile, les médias indépendants et les droits des LGBT+.
Irakli Metreveli, avec AFP
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