Depuis plus de treize ans, la Syrie est au cœur d’une des guerres civiles les plus sanguinaires du dernier demi-siècle. Si les combats ont connu une accalmie avec la chute de Bachar el-Assad, renversé le 8 décembre 2024 par une coalition de rebelles menée par le groupe Hay’at Tahrir el-Cham (HTC), le pays reste embourbé dans un marécage économique et humanitaire sans précédent.
Rendre à César…
Au centre de cette asphyxie économique se trouve une arme puissante: la loi César, qui doit son nom à un ancien photographe légiste de la police militaire syrienne ayant adopté le pseudonyme “César” et qui a documenté les tortures infligées à des civils par le régime Assad, ce qui est devenu le rapport de 2014 sur les détenus syriens ou le rapport César.
Human Rights Watch a mené une enquête sur ce rapport et en a produit un autre, intitulé “If the Dead Could Speak” (Si les morts pouvaient parler). Des preuves photographiques du rapport de 2014 sur les détenus syriens ont été exposées au Musée de l'Holocauste des États-Unis et aux Nations unies.
Adoptée en 2020 par les États-Unis sous l’administration de Donald Trump, cette loi impose des sanctions ciblant les individus étrangers qui participent à l'approvisionnement du régime Assad en biens, services ou technologies liés à ses activités militaires, ainsi qu'à ses secteurs de l'aviation, du pétrole et du gaz, selon le département d'État américain.
La loi prévoit également des mesures punitives à l'encontre de ceux qui tirent profit du conflit syrien en s'impliquant dans des projets de reconstruction.
En outre, la loi César se distingue fondamentalement par le fait qu'elle impose, par voie législative, des sanctions secondaires ou dérivées contre les facilitateurs du régime Assad. Autrement dit, elle ne se contente pas de limiter les activités des personnes et entités américaines impliquées dans la reconstruction de la Syrie sous le régime Assad, mais s’étend également aux individus et entités non américains.
Les investisseurs se trouvent alors face à un dilemme: s'ils investissent dans la reconstruction syrienne sous Assad, ils risquent d'être exclus non seulement des échanges commerciaux et des transactions avec les États-Unis, mais également avec les institutions financières mondiales. Et l’autarcie tue la prospérité.
C’est dans ce contexte que Washington a annoncé lundi un assouplissement temporaire des sanctions. Une décision visant à permettre l’accès aux services essentiels pour les Syriens, tout en laissant intactes les restrictions les plus sévères, notamment celles qui affectent les réserves financières et les capacités d’importation du pays.
Des sanctions encombrantes
Selon la presse syrienne, les réserves en devises étrangères de la Banque centrale syrienne, qui atteignaient 18 milliards de dollars en 2011, ne dépasseraient plus aujourd’hui les 200 millions de dollars. Cette chute drastique a non seulement empêché le pays d’importer des produits de première nécessité, mais elle a également provoqué une dévaluation massive de la livre syrienne, qui a perdu près de 90% de sa valeur. L’inflation galopante qui en découle rend les denrées essentielles inaccessibles à une majorité de la population.
Maher Khalil el-Hassan, nouveau ministre du Commerce au sein de l’administration intérimaire dirigée par HTC, a décrit une situation critique lors d’une interview avec Reuters. “Nous avons assez de blé et de carburant pour quelques mois seulement. Si les sanctions ne sont pas gelées ou levées, le pays fera face à une catastrophe”, a-t-il averti.
Un geste limité de Washington
Face à l’urgence, le Bureau de contrôle des actifs étrangers (Ofac), une branche du Trésor américain, a élargi temporairement les activités autorisées en Syrie. Cet assouplissement, prévu pour six mois, permet de débloquer certaines transactions liées à des services essentiels tels que l’électricité, l’eau et l’aide humanitaire. Toutefois, les mesures les plus restrictives, comme le gel des avoirs de figures clés et d’entités comme la Banque centrale syrienne ou HTC, restent en place.
Ces restrictions, maintenues pour préserver le levier politique américain, continuent d’étouffer une économie syrienne déjà en ruines en entravant la mobilité des capitaux et les investissements directs de l’étranger. Par ailleurs, la fin du soutien de la Russie et de l’Iran, qui fournissaient jusqu’alors la majorité des importations de blé et de pétrole, aggrave encore la situation.
Un avenir incertain
Alors que le pays tente de se relever du joug de la dynastie Assad, la reconstruction paraît compromise. Malgré les réserves d’or estimées à 26 tonnes détenues par la Banque centrale, leur mobilisation reste entravée par les sanctions. Pendant ce temps, l’administration Biden espère que cet assouplissement limitera les souffrances de la population tout en maintenant une pression politique sur les nouveaux dirigeants syriens, issus de HTC.
Pour la Syrie, les mois à venir seront décisifs. Si cet allègement temporaire pourrait offrir un répit, il ne répond pas aux besoins structurels d’un pays en crise profonde. La levée ou l’assouplissement durable des sanctions reste essentielle pour permettre à la Syrie d’amorcer une véritable transition vers la stabilité économique et politique.
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