Boléro de Ravel, entre éternité du chef-d'œuvre et avidité des héritiers
Le “Boléro” de Maurice Ravel fait encore l'objet d’une controverse sur les droits d’auteur malgré son entrée dans le domaine public en 2016. ©Ici Beyrouth

Véritable monument musical du XXe siècle, le Boléro de Maurice Ravel fait encore l'objet d'un litige juridique malgré son entrée dans le domaine public en 2016. Des héritiers de collaborateurs, comme le décorateur Alexandre Benois, cherchent à faire reconnaître le rôle de ce dernier dans la création de l'œuvre afin de prolonger la protection des droits d’auteur et les revenus associés.

En 1928, alors que le monde artistique se trouvait en pleine effervescence et que les expérimentations musicales étaient à leur apogée, Maurice Ravel (1875-1937) compose son Boléro (M.81), une œuvre qui deviendra rapidement l’une des pages les plus célèbres de la musique d’art occidentale du XXe siècle. Commandée par la danseuse russe Ida Rubinstein pour un ballet, la pièce semble au premier abord d’une simplicité presque mécanique, avec sa structure répétitive et son crescendo orchestral ininterrompu. Pourtant, cette écriture orchestrale dissimule une véritable audace compositionnelle: Ravel pousse les limites de l'orchestration en superposant progressivement de nouvelles textures et couleurs instrumentales à chaque reprise du thème. En 2025, alors que l’on célèbre les 150 ans de la naissance du compositeur français, le Boléro reste marqué par une controverse sur les droits d’auteur, qui persiste même après que l'œuvre est entrée dans le domaine public en 2016.

Débat juridique

Récemment, les ayants droit du décorateur russe Alexandre Benois (1870-1960), qui a collaboré avec Ravel sur ce projet, ainsi que ceux du compositeur, ont contesté en justice le fait que Maurice Ravel soit considéré comme l'unique auteur du Boléro. Les héritiers de Benois, qui soutiennent que ce dernier a contribué à sa création, ont interjeté appel du jugement fin novembre 2024, dans l'espoir de continuer à percevoir des bénéfices issus de celle-ci. En effet, tant qu’une pièce est protégée par des droits d’auteur, ses ayants droit peuvent percevoir des royalties, notamment via la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem). Bien que les revenus générés par l'œuvre aient diminué par rapport à leur apogée, ils restent encore significatifs. Entre 2011 et 2016, le Boléro rapportait en moyenne 135.507 euros par an à la Sacem. Depuis son entrée dans le domaine public en 2016, les ayants droit de Ravel et de Benois n’en bénéficient plus, relançant ainsi le débat juridique.

Conflit d’attribution

Il convient de déterminer si Alexandre Benois peut être reconnu comme coauteur du Boléro, ce qui permettrait aux ayants droit de prolonger la protection de l'œuvre de 70 ans après son décès. En tenant compte de la loi compensant les pertes des artistes français durant les deux guerres mondiales, cette durée serait portée jusqu’en 2039. Le tribunal de Nanterre a rejeté cette demande en juin 2024, estimant que les preuves apportées par les héritiers de Benois ne démontraient pas son rôle d’auteur. De plus, le tribunal a écarté la possibilité d’une contribution de la chorégraphe Bronislava Nijinska (1891-1972), qui aurait également pu revendiquer un rôle dans la création du ballet. Ce litige soulève une question fondamentale: comment attribuer les contributions à une œuvre collective et déterminer les limites de la durée de la protection des droits d’auteur, en particulier lorsque certains héritiers tentent de revendiquer des droits qui ne leur appartiennent pas? Ce type de procédure, motivé par des enjeux financiers évidents, n’est malheureusement pas rare dans le domaine des arts et de la musique, où l'œuvre du créateur devient souvent le prétexte à des revendications patrimoniales excessives.

Crescendo orchestral

Loin des préoccupations financières, le Boléro de Ravel demeure un chef-d’œuvre magistral, dont la valeur artistique dépasse largement les enjeux liés à ses droits d'auteur posthumes. D’un point de vue formel, il s'agit d'une suite de variations autour d'un même thème mélodique, caractérisé par une progression harmonique minimale et une orchestration qui croît constamment en intensité. L’œuvre repose sur un ostinato rythmique incessant, joué au début par la caisse claire, qui sert de fil conducteur tout au long de la pièce. Ce rythme régulier, associé à une structure répétitive, confère au Boléro une dimension obsédante, où l’accent est mis sur l’évolution de la texture orchestrale plutôt que sur le développement harmonique. Le thème musical, qui se répète 18 fois, est successivement interprété par différents groupes d'instruments de l’orchestre. Cette répétition continue génère un effet de tension croissante, avant de culminer dans une explosion sonore et expressive à la fin de la pièce.

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