L'unité des chrétiens, dans un Moyen-Orient qui se recompose, est plus que jamais d'actualité. L'occasion idéale s'en présente avec “la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens” que nous vivons en ce moment (18 - 25 janvier). Cette tradition annuelle a une histoire assez complexe. Il suffit de dire ici qu’elle est issue d’un élan œcuménique, né au 19ᵉ siècle, qui cherche à réparer les divisions de la Réforme, dans l'Europe du 16ᵉ siècle. Progressivement, et tout au long du XXe siècle, cet élan va s’étendre à toutes les Églises. La prière qu’on y récite a été développée en 1935 par le père Paul Couturier.
Cette année, la Semaine de prière est centrée sur le 1700ᵉ anniversaire du Concile de Nicée (325) lors duquel a été élaborée la formule du Credo. Convoqué par l’empereur Constantin, le Concile de Nicée réunit des représentants de communautés ecclésiales à peine sorties de la clandestinité et de la persécution. Ils découvrirent combien il pouvait être difficile de partager la même foi dans les différents contextes culturels et politiques de l’époque. Les différends portaient tantôt sur les questions fondamentales, comme la nature du Christ, tantôt sur des questions de forme, comme la date de Pâques et son rapport avec la Pâque juive. Il s’agissait aussi de régler des questions pastorales, comme celle de la réintégration des croyants ayant abandonné la foi pour fuir la persécution, etc. La Semaine est une invitation à puiser dans cet héritage commun et d’en tirer les leçons.
Dans sa première partie, la prière demande au Christ “de nous faire ressentir douloureusement l’infidélité de notre désunion”. Le mot désunion est un adoucissement du mot division. Des divisions marquées par “de l’indifférence, de la méfiance et de l’hostilité”, dit le texte de la prière.
Curieusement, l’indifférence à l’égard de Dieu est considérée comme une offense au même titre que l’hostilité. Elle n’est pas interprétée comme étant un “honnête” agnosticisme. Peut-être parce que l’indifférence est statique, alors que la foi commande la recherche inlassable de la vérité.
Aujourd’hui, dans un Moyen-Orient chrétien où les Églises “historiques” peinent à survivre, cette prière entraîne chez de nombreux fidèles un agacement face à des divisions anachroniques dont nous ne comprenons plus la persistance, comme celle de l’unification de la date de Pâques.
Face à l’apathie d’Églises repliées sur elles-mêmes, les fidèles n’ont pas de mal, non plus, à constater combien rares sont les hommes d’Église qui semblent vivre “douloureusement” l’existence de la “désunion”. Enfin, ils se plaignent d’avoir à réciter une prière que le père Couturier a écrite pour les responsables d’Églises plus que pour les fidèles.
Cela dit, il est nécessaire de rappeler que la prière pour l’unité des chrétiens répond à la dernière recommandation du Christ à ses disciples, celle de rester unis, qu’il a élevée avant d’être condamné à mort et crucifié. L’œcuménisme apparaît ainsi comme le rachat d’une rupture au sein d’une communauté humaine où elle ne devait pas se produire.
Disons tout de suite que ces divisions avaient été comme anticipées par le Christ pendant qu’il formait encore ses disciples et qu’ils lui demandaient de leur apprendre à prier. Le “Pater” en est témoin. Le pardon, qu’il nous est demandé d’accorder inlassablement à ceux qui nous offensent, est, en effet, central à la prière du Notre Père. Le Christ savait que nos rapports mutuels, même avec la meilleure bonne volonté du monde, sont condamnés à rester conflictuels. Il faut donc rester attentif à cette dimension des rapports humains. Le combat spirituel est un donné en dehors duquel toute anthropologie et toute philosophie de l’histoire demeurent imprécises. Comme dit l’historien Henri-Irénée Marrou: “L’histoire est le lieu de l’inachèvement, et il est bon de le garder à l’esprit. C’est le grand antidote à la tentation de l’utopie qui guette tous ceux qui ont voulu changer l’histoire”, aussi bien sur le plan religieux que sur le plan civil.
Dans leur seconde lettre adressée en 1992 aux fidèles, les patriarches catholiques d’Orient parlent de la diversité comme “une caractéristique essentielle (…) de l’Orient chrétien”. “Cette diversité, précise le texte, a toujours été une source de richesse pour toute l’Église, quand nous l’avons vécue dans l’unité de la foi et dans la charité”.
“Malheureusement, ajoute le texte, cette diversité s’est transformée en division et séparation à cause des péchés des hommes et de leur éloignement de l’esprit du Christ”. “En Orient, nous serons chrétiens ensemble ou nous ne serons pas, conclut la lettre. (…) Le temps est venu de purifier notre mémoire des séquelles négatives du passé, si douloureuses soient-elles, et de regarder ensemble vers l’avenir, dans l’esprit du Christ et à la lumière de son Évangile et de l’enseignement des Apôtres”.(39)
Aujourd’hui, par où va commencer cette purification si longtemps différée? Par le mot “ensemble”, affirme sans hésitation l’évêque maronite émérite de Sarba, Guy Noujeim, que l’APECL a chargé de présider une commission dont le but est de mettre en œuvre cette démarche de purification qui doit débarrasser les Églises de leur individualisme.
Cette année, la réunion annuelle de l'APECL, prévue à l'automne et reportée en raison de la guerre, devrait se tenir en février.
Dans son ouvrage, “Vie et mort des chrétiens d’Orient”, Jean-Pierre Valognes (un pseudonyme) analyse avec pertinence certaines des pesanteurs historiques, religieuses et sociales, qui ont empêché – et empêchent toujours – les Églises d'Orient de travailler "ensemble". Valognes met en cause, plus particulièrement, le système des protectorats mis en place au XIXe siècle, à l’origine du “confessionnalisme”, un phénomène qui a dégradé la richesse de la diversité en “particularisme”, et en préservation jalouse des avantages administratifs ou politiques attachés à chaque appartenance communautaire.
Le défi est de taille. À l’heure où la Syrie se cherche une constitution, où le Liban doit répondre au défi d’une diversité hétérogène, il est plus que temps que les Églises se réveillent et avancent courageusement et “ensemble” vers l’avenir.
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