Moins de deux mois après la chute du régime de Bachar el-Assad, l’Union européenne affiche sa volonté de jouer un rôle clé dans l’évolution de la situation en Syrie.
Lundi, les 27 États membres de l’Union européenne se sont accordés sur une “feuille de route” visant à assouplir progressivement les sanctions frappant des pans entiers de l’économie syrienne sous l’ancien régime de Bachar el-Assad. Toutefois, l’UE exclut toute levée inconditionnelle des mesures restrictives. Sa démarche sera graduelle et soumise à des conditions strictes. En d’autres termes, elle refuse d’accorder un chèque en blanc aux nouvelles autorités syriennes dont la bonne gouvernance nécessite encore du temps pour être prouvée.
La cheffe de la diplomatie européenne, Kaja Kallas, a tenu à préciser la position de l’UE sur ce plan: “Nous voulons agir rapidement, mais la levée des sanctions pourra être annulée si des décisions inappropriées sont prises”, par la nouvelle direction d’Ahmad el-Chareh, a-t-elle averti. “Si nous constatons des avancées dans la bonne direction, nous serons prêts à franchir le pas vers de nouvelles étapes. Mais il doit également y avoir un plan de repli.”
De son côté, la commissaire européenne chargée de la gestion de crise, Hadja Lahbib, a souligné: “Bien sûr, on a le droit de ne pas y croire. Mais il est essentiel de ne pas abandonner la Syrie au moment où elle en a le plus besoin. Aidons-la, mais sans naïveté.”
En principe, la suspension des sanctions pour une durée d’un an concernerait des secteurs stratégiques tels que le transport, l’énergie et les institutions financières.
Une approche pragmatique
Cette initiative traduit la volonté de l’Occident de conserver un levier d’influence sur la nouvelle administration syrienne, après avoir utilisé les sanctions comme un moyen de pression contre l’ancien régime. “C’est une politique du bâton et de la carotte”, résume un observateur sous couvert d’anonymat.
Selon la même source, l’Union européenne cherche à s’imposer en chef de file des efforts internationaux et régionaux pour la reconstruction de la Syrie. Cette stratégie repose sur un constat: “La stabilité de la Syrie profite non seulement aux Syriens et à la région, mais aussi à l’Europe, qui souhaite éviter de nouvelles vagues migratoires susceptibles de fragiliser sa stabilité politique. De plus, une relance économique offrirait aux entreprises européennes des opportunités d’investissement.”
Dans cette optique, la levée – ou du moins la suspension – des sanctions pourrait être envisagée, mais sous réserve d’un engagement clair des nouvelles autorités syriennes à respecter la feuille de route définie par l’UE.
États-Unis et UE
Les Européens n’auraient probablement pas pris l'initiative de suspendre certaines sanctions sans l'exemple donné par les États-Unis. Le 7 janvier, le département du Trésor américain a accordé une licence de six mois permettant un assouplissement ciblé des sanctions contre Damas. Cette mesure vise à faciliter les activités essentielles pour répondre aux besoins humanitaires, telles que l’approvisionnement en services publics et la distribution d’aides.
Il est crucial de souligner que cet assouplissement reste limité et ne constitue pas une levée totale des sanctions. Celles visant des individus et des entités spécifiques, comme Bachar el-Assad, le gouvernement syrien, la Banque centrale syrienne et Hay'at Tahrir al-Cham (HTC) demeurent en vigueur. Le gouvernement américain continuera de suivre de près l’évolution de la situation sur le terrain durant ces six mois.
Cette décision reflète la volonté des États-Unis de soutenir le peuple syrien dans la construction d'un avenir plus sûr et plus stable, tout en maintenant la pression sur ceux responsables des exactions passées.
Les conditions de l’UE
Pour sa part, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, a rapidement énoncé les conditions posées par le “club européen”, largement approuvées par les États membres. Il a souligné que “la suspension des sanctions doit être conditionnée à l’instauration d’une transition politique inclusive pour l’ensemble des Syriens, ainsi qu’à la mise en place de mesures rigoureuses visant à garantir la sécurité, à poursuivre la lutte contre le terrorisme, notamment contre le groupe État islamique (Isis), et à assurer la destruction des stocks d’armes chimiques de l’ancien régime syrien”.
Signes de bonne volonté
Quant au président intérimaire de la Syrie, Ahmad el-Chareh, il multiplie les gestes de bonne volonté pour pousser à une levée définitive des sanctions imposées à l’économie de son pays depuis 2011.
À ses hôtes de marque, le nouveau dirigeant syrien répète qu’il a hâte de reconstruire son pays et souhaite donc conclure un “partenariat” avec l’Europe, dont il cherche à devenir “l’allié” au Moyen-Orient.
Mercredi, la Syrie a franchi un nouveau pas sur le chemin de “la reconstruction d’un pays démocratique”. Les nouvelles autorités ont dissous le parti Baas, qui a gouverné le pays pendant plus de 60 ans. Elles ont également annoncé la dissolution de l'ancien Parlement et le gel de la Constitution de 2012, ainsi que la nomination d’Ahmad el-Chareh au poste de président intérimaire durant la période de transition. La durée de celle-ci n’a pas été précisée.
Elles ont surtout annoncé la dissolution de l’armée du régime ainsi que toutes les agences de sécurité affiliées à celui-ci.
La Syrie et la Russie
Simultanément, il apparaît que l'Occident conditionne son approche d’un assouplissement des sanctions à la gestion, par la nouvelle administration syrienne, de la présence militaire russe sur son territoire, en particulier à l'est de la Méditerranée, à la base de Hmeimim, près de Lattaquié, et au port de Tartous.
L'Union européenne envisagerait d'utiliser les sanctions comme un levier de pression pour inciter le gouvernement syrien à mettre fin à cette présence. À ce sujet, l'agence russe "TASS" a rapporté, il y a deux jours, qu'un responsable européen aurait indiqué que l'UE avait informé la nouvelle administration syrienne que la levée des sanctions serait subordonnée à la fin de la présence des bases russes en Syrie. Ce responsable a précisé que l'Union “suivait de près cette question” et a ajouté: “Nous avons déjà informé les autorités syriennes que le processus de normalisation dépend de l'élimination de toutes les formes de présence étrangère, qu'elles soient militaires ou sous toute autre forme.”
Mardi soir, la Russie a annoncé que la question du maintien de ses bases militaires en Syrie nécessitait des consultations supplémentaires, alors qu'une délégation de Moscou s'entretenait avec Ahmad el-Chareh, à Damas.
Pendant que la communauté internationale débat des sanctions, il reste essentiel de ne pas perdre de vue leur impact direct sur la vie du peuple syrien.
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