La Côte d’Ivoire en plein essor économique face à l’échéance de la présidentielle
Abidjan est la ville la plus peuplée de la Côte d'Ivoire. Elle était la capitale administrative et politique du pays jusqu'en 1983. ©Monde Afrique

L’élection présidentielle qui aura lieu en octobre prochain devrait constituer un test décisif de la capacité de la démocratie ivoirienne – 32 millions d’habitants – à conjurer les vieux démons de la crise postélectorale de 2010-2011 et à jeter les bases d’une société réconciliée avec son histoire.

Le brillant bilan économique du régime actuel, un multipartisme réellement pluraliste, la maturité de la classe politique ainsi qu’une liberté d’expression réelle constituent les meilleurs garants de la stabilité du pays qui s’engage dans une campagne électorale très disputée dans une apparente tranquillité.

Lors de la présidentielle de 2020, des manifestations massives s’étaient soldées par des dizaines de morts, et des bandes non identifiées, surnommées “les microbes” dans la population, s’en étaient pris aux jeunes dans les rues. L’opposition avait décidé de boycotter le scrutin. Résultat: le président Ouattara était élu pour un troisième mandat contesté, au point qu’Emmanuel Macron avait mis dix jours à féliciter le vainqueur élu avec 94% des voix, mais dans un climat de peur et sur fond d’absentéisme.

La présidentielle qui aura lieu en octobre prochain devrait être plus vertueuse. La Côte d’Ivoire d’Alassane Ouattara dispose, en effet, de nombreux atouts pour relever ce qui se présente comme un redoutable défi démocratique: une réussite économique incontestable dont témoignent les multiples réalisations du régime; un débat politique ouvert, même si, ici comme ailleurs, des Youtubeurs livrés à eux-mêmes jouent un rôle central mais erratique dans le débat politique; une capacité d’ouverture internationale qui n’a en rien éloigné le pays de ses partenaires traditionnels.

Si d’autres dirigeants reviennent de Chine avec juste quelques modestes promesses de financement, Alassane Ouattara a récolté à Pékin plusieurs milliards de francs CFA pour améliorer les infrastructures et réhabiliter 3.500 kilomètres de routes. À la surprise générale, l’Italie est devenue le premier partenaire commercial des Ivoiriens avant la France et le Maroc.

Au passif de ce bilan, on trouve le divorce grandissant entre le pouvoir ivoirien et la jeunesse déshéritée des quartiers. En janvier dernier encore, des affrontements ont opposé des groupes de jeunes aux gendarmes de Bettié, une localité éloignée de 166 kilomètres d’Abidjan. La brigade locale a été entièrement détruite et une centaine de manifestants interpellés. “La Côte d’Ivoire doit intégrer 300.000 jeunes chaque année au marché du travail, plaide-t-on au Quai d’Orsay, de réels efforts sont faits pour développer les équipements scolaires et renforcer le tissu des PME dans un pays trop largement dominé par les grands groupes internationaux.”

Plus généralement, le chemin d’une croissance inclusive et solidaire est long et escarpé. Les retombées d’une croissance forte ne profitent que très partiellement à la majorité de la population, comme l’explique Ahoua Don Mello, le représentant ivoirien des BRICS en Afrique: “La Côte d’Ivoire, 3ᵉ économie de l’Afrique de l’Ouest, occupe le 6ᵉ rang au niveau de son indice de développement humain après le Cap-Vert (1ᵉʳ), le Ghana (2ᵉ), le Nigeria (3ᵉ), la Mauritanie (4ᵉ) et le Bénin (5ᵉ). Ce qui traduit le peu d’implication socio-économique des citoyens dans le processus de développement au moment où trois entreprises françaises et leurs alliés vont empocher 1000 milliards de FCFA pour réaliser 37 kilomètres de chemin de fer.”

Les états d’âme du président ivoirien

Pour l’instant et après trois mandats, Alassane Ouattara maintient l’ambiguïté sur son éventuelle candidature à la prochaine présidentielle. Est-ce l’envie de voir les succès économiques qui sont les siens amplifiés par la découverte récente de gisements de pétrole et d’or, ou la crainte de laisser son camp désemparé et orphelin? Lors d’une cérémonie officielle en ce début d’année à Abidjan, le chef de l’État a laissé entrevoir la possibilité d’un quatrième mandat présidentiel: “Je suis en bonne santé et désireux de servir mon pays.” Dans la foulée et avec son habileté tactique coutumière que lui reconnaissent même ses opposants, le président ivoirien a temporisé: “À ce jour, je n’ai pas encore pris ma décision.” Peut-être le même sera plus bavard lors de sa rencontre, le 1ᵉʳ février à Paris, avec son allié et ami Emmanuel Macron. 

Cette déclaration équivaut, selon les milieux diplomatiques d’Abidjan, à une annonce de candidature. D’autant plus que les premiers signaux indiquent un soutien total du Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), son propre parti dont les cadres sont bien embarrassés à l’idée de lui trouver un digne successeur. Dès le mois d’octobre dernier, les hauts responsables du RHDP l’avaient déjà désigné comme leur “candidat naturel”, exprimant leur “volonté de tout mettre en œuvre” pour assurer sa victoire à l’élection présidentielle d’octobre prochain.

Laurent Gbagbo, une épine dans le multipartisme

Le 17 juin 2021, Laurent Gbagbo, qui bénéficie d’un non-lieu de la Cour pénale internationale (CPI), peut rentrer en Côte d’Ivoire. Un pas immense est ainsi accompli par le président Ouattara dans le sens de l’apaisement. Mais la justice ivoirienne, en condamnant l’ancien président à une peine d’inéligibilité pour le casse d’un établissement bancaire pendant la crise de 2010-2011, stoppera net, avec l’appui du pouvoir, la normalisation de la vie politique ivoirienne. “Une telle mesure est totalement discriminatoire, juge une opposante au régime actuel. L’ancien président a été reconnu non coupable par la CPI pour l’ensemble de son action durant la guerre civile que nous avons connue. Nos juges doivent respecter la justice internationale.” 

Un jeu malsain s’est installé entre Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo. Le premier ne semble pas décidé à gracier son rival pour lui permettre de se présenter. Le second, qui tient son parti d’une main de fer, à la façon d’un Jean-Luc Mélenchon en France, exclut toute idée de choisir un successeur, comme a pu le faire si finement l’actuel Premier ministre sénégalais, Ousmane Sonko, qui avait été placé en détention avant le dernier scrutin présidentiel à Dakar.

En joueur d’échecs aguerri, Laurent Gbagbo attise les braises de la contestation, pousse à une mobilisation de la rue contre le pouvoir et se rallie ainsi à la stratégie du pire. En cas de contestation violente, seule la jeunesse des quartiers déshérités, véritable chair à canon, paierait le prix de son intransigeance sans réel débouché politique.   

Le résultat, le voici: aucune des deux personnalités dominantes de la vie politique ivoirienne n’est pour l’instant présente sur la ligne de départ, ni décidée à passer le relais. Le tout sur fond de divisions croissantes au sein de la classe politique ivoirienne.  

En panne de leadership

À gauche de l’échiquier politique, pas moins de cinq partis, dont ceux de Laurent Gbagbo et de son ex-épouse Simone brouillés à jamais, se disputent les voix des électeurs ivoiriens. L’alliance qui s’était amorcée après 2018 entre les mouvements des présidents Bédié et Gbagbo n’a pas survécu à la disparition du premier en 2023. Aucune dynamique au sein de l’opposition ne semble se dessiner face au pouvoir. La Côte d’Ivoire est en panne de leadership.

Qui plus est, la première force politique d’opposition, le PDCI de l’ex-président Henri Konan Bédié, traverse une profonde crise interne. Tidjane Thiam, héritier de Bédié, s’attendait à ce que sa candidature soit naturellement acceptée. Cependant, Jean-Louis Billon, homme d’affaires, ancien ministre et cadre influent du parti, conteste cette logique et revendique une primaire démocratique pour désigner le candidat.

Jean-Louis Billon a marqué les esprits en réunissant, le samedi 25 janvier 2025, dans le village carrefour de 20.000 âmes dénommé Koffikro, des milliers de ses partisans de la région, en clôture de la tournée de mobilisation qu’il avait débutée le lundi 20 janvier dernier et qui l’a mené dans différentes localités dont Bonoua, la ville natale de l’ex-première dame Simone Gbagbo à environ 57 km d’Abidjan. Ce meeting sonne comme une réponse aux diverses démonstrations de force des militants du PDCI de ces dernières semaines autour de Tidjane Thiam, l’ancien directeur général du Crédit Suisse élu président du PDCI en septembre 2023. Les deux hommes, devenus irréconciliables, vont devoir en découdre au cours d’une convention dont la date pourrait être fixée début mars lors d’un bureau politique.

Cette querelle interne met en lumière un désaccord fondamental: Thiam semble vouloir éviter une compétition interne, contrairement à son prédécesseur Bédié, tandis que Billon défend un processus démocratique susceptible de rassembler davantage de soutiens. L’organisation d’une convention reste incertaine. Cette absence de consensus retarde la définition d’une stratégie claire pour le parti, fragilisant la position de l’opposition toute entière face à un pouvoir qui, après quinze années aux commandes, dispose de nombreux relais dans l’administration et les affaires.

Une fragmentation ethnique

Les 60 ethnies qui ont joué un rôle clé dans la structuration politique de la Côte d’Ivoire figent les alliances et compliquent les regroupements. Et c’est sans compter sur les Libanais, les Burkinabés, les Nigériens ou les Maliens – soit 30% de la population – qui compliquent encore par leur forte présence la cohésion de la société ivoirienne.

Sous le régime d’Houphouët-Boigny qui appartenait à l’ethnie des Baoulé au centre est du pays, la scène politique ivoirienne était marquée par un clivage est/ouest. Deux pôles principaux structuraient les alliances: les Baoulé – auxquels appartenait le président Bédié – et les Akan à l’est, et les Bété à l’ouest, alliés aux Krou, qui soutenaient Gbagbo. Pendant cette période, le nord, peuplé par les Malinkés, était politiquement marginalisé. Avec l’ascension d’Alassane Ouattara, dernier Premier ministre d’Houphouët-Boigny décédé en 1993, le nord délaissé prend enfin sa revanche. Une alliance est née entre le RHDP d’Alassane Ouattarra et le PDCI d’Henri Konan Bédié. 

Après 2018, Bédié qui se brouille avec Ouattara s’allie avec Gbagbo. Les alliances ethniques en prendront un coup. Pour compliquer le tout, L’influence des étrangers sahéliens, notamment des Burkinabé et Maliens inscrits massivement sur les listes électorales, a renforcé le poids électoral d’Ouattara, avec la formation d’un bloc Malinké.

Ces regroupements communautaires restent sensibles en Côte d’Ivoire. Il faut voir à quel point les réfugiés économiques venus du Sahel ont mauvaise presse et sont accusés même par des personnalités progressistes de venir manger le riz des Ivoiriens de souche. Mais les clivages ethniques et régionalistes sont désormais brouillés par une urbanisation croissante, le déplacement des populations, le métissage des clans familiaux et la montée en puissance d’une contestation sociale.

Bénéficiant d’une double nationalité française et ivoirienne, la première dame, comme on appelle Dominique Ouattara à Abidjan avec un mélange d’affection et de respect, a contribué grandement à bousculer le fantasme de “l’ivoirité” qui a longtemps pollué le débat politique ivoirien. Cette page, semble-t-il, est tournée. 

La réussite du modèle démocratique ivoirien conditionne la capacité des Africains à s’inscrire dans une mondialisation respectueuse des droits humains et l’espoir pour la France de consolider ses relations apaisées et égalitaires avec un partenaire entreprenant, francophone et accueillant.   

Commentaires
  • Aucun commentaire