
En Algérie, cinq ans de prison ferme pour l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal. Derrière cette condamnation judiciaire, c’est une crise politique qui se joue, entre pressions internationales, rejet d’ingérence et mémoire douloureuse.
Alors que Paris espérait un geste d’apaisement venu d’Alger, le tribunal de Dar el-Beïda a tranché. Ce jeudi 27 mars 2025, l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal a été condamné à cinq ans de prison ferme, assortis d’une amende de 500.000 dinars (environ 3.470 euros). La peine reste inférieure aux dix ans requis une semaine plus tôt par le procureur de la République.
Le verdict, rendu en première instance dans un climat de fortes tensions diplomatiques entre la France et l’Algérie, a été prononcé brièvement, en arabe. Selon le correspondant de l’AFP présent dans la salle, Sansal, debout face au juge, a demandé à entendre à nouveau la sentence. Le magistrat a alors répété la peine à haute voix, cette fois en français.
Pas de perpétuité donc. Un scénario pourtant envisagé par certains. Une partie de l’opinion algérienne, très active sur les réseaux sociaux, réclamait une condamnation exemplaire. Pour ces internautes, Boualem Sansal, avant d’être présenté comme écrivain franco-algérien, reste un ancien haut fonctionnaire algérien. Il est, selon eux, coupable de trahison, accusé de semer la discorde au profit du Maroc, d’intelligence avec des puissances étrangères et même de sympathies sionistes.
Que lui reproche exactement la justice algérienne?
Principalement des propos tenus dans la revue française d’extrême droite Frontières, dans lesquels Sansal aurait suggéré une appartenance historique de l’ouest algérien au Maroc. Des déclarations jugées inacceptables par Alger. À cela s’ajoutent des charges lourdes: atteinte à la sûreté de l’État, à l’intégrité du territoire, à la stabilité des institutions (article 87 bis du Code pénal algérien) et intelligence avec des parties étrangères.
Selon le journal privé algérien Echorouk, le dossier d’accusation contient aussi des échanges entre Sansal et l’ancien ambassadeur de France en Algérie, Xavier Driencourt, considéré à Alger comme une figure hostile. Le quotidien affirme que l’écrivain aurait transmis des renseignements sensibles à caractère économique et social. Des messages compromettants auraient également visé les Brics, une coalition géopolitique réunissant plusieurs puissances non occidentales, et le chef d’état-major de l’armée algérienne, Saïd Chengriha.
Une affaire devenue politique
Depuis son arrestation à Alger en novembre 2024, Sansal a refusé d’être défendu, allant jusqu’à déconstituer son avocat, Me François Zimeray. Ce dernier n’a pas pu assister à l’audience, faute de visa. “Depuis le début, rien n’est transparent dans cette procédure”, dénonce Zimeray. Il assure maintenir un dialogue constant avec les autorités françaises et les avocats algériens. Dans un message publié ce jeudi sur X, il écrit: “Son âge (75 ans) et son état de santé rendent chaque jour d’incarcération plus inhumain encore. J’en appelle au président algérien: la justice a failli, qu’au moins l’humanité prévale.”
Des médias algériens privés, présents au procès, le 20 mars dernier, ont affirmé que Boualem Sansal se portait bien et que l’audience s’était déroulée dans le calme. Une manière de répondre aux rumeurs relayées par certains médias français, selon lesquelles l’écrivain aurait été intimidé en prison, notamment en raison de son avocat, d’origine juive.
Une crise entre deux pays
Le président algérien Abdelmadjid Tebboune a tenté d’adresser un message de conciliation, déclarant récemment que son seul interlocuteur dans cette crise restait Emmanuel Macron. Une manière d’écarter les ministres français Gérald Darmanin et Bruno Retailleau, très critiques envers l’Algérie sur les sujets des OQTF (obligation de quitter le territoire français), des accords de 1968 et, désormais, de Boualem Sansal. Darmanin a d’ailleurs, la semaine dernière, changé de ton et adressé un appel direct au président algérien pour qu’il libère l’écrivain. En vain.
La France a rapidement réagi au verdict, à peine une heure après son annonce. “Nous déplorons la condamnation à une peine de prison ferme de notre compatriote Boualem Sansal”, a déclaré le porte-parole du ministère français des Affaires étrangères, Christophe Lemoine, dans un communiqué. “Nous réitérons notre appel à une issue rapide, humanitaire et digne à cette situation”, a-t-il ajouté.
En France, plusieurs rassemblements de soutien ont eu lieu, notamment à Strasbourg le 14 mars dernier, réunissant plus de 150 personnes. Mais ces élans de solidarité n’ont pas forcément servi la cause de Sansal. À Alger, ils sont interprétés comme des tentatives d’ingérence, une atteinte à l’indépendance de la justice algérienne. Le point de rupture a peut-être été atteint fin janvier, quand le Parlement européen a adopté à une large majorité (533 voix pour, 24 contre) une résolution réclamant la libération de l’écrivain.
Et maintenant?
Dans l’immédiat, tous les regards se tournent vers une éventuelle grâce présidentielle. Peut-être à l’occasion de l’Aïd el-Fitr ou du 5 juillet, jour de la fête de l’indépendance algérienne. D’ici là, le verdict risque d’approfondir une crise déjà complexe, malgré les efforts apparents de Tebboune et de Macron pour éviter une escalade.
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