
Une discipline entre force brute et maîtrise mentale séduit une jeunesse en quête d'équilibre et de dépassement de soi. Ici Beyrouth est allé à la rencontre de Dimitrios Yaacoub, champion de callisthénie et ambassadeur libanais d’un sport encore méconnu.
Ni médecine grecque, ni trend TikTok
Non, ce n’est ni une maladie rare, ni un nouveau traitement à la mode – encore moins une chirurgie plastique visant à redessiner certaines courbures, à bomber certaines régions du corps ou du visage… ou à embellir une zone encore inexploitée par l’industrie du bistouri.
Derrière ce nom un brin barbare – qui pourrait évoquer un médicament antique ou une pathologie oubliée – la callisthénie est bel et bien un sport. Et pas n’importe lequel; il s’agit d’un art du mouvement, d’un culte du corps libre, d’un mélange spectaculaire de force, de souplesse et de contrôle.
Aussi appelée street workout, cette discipline fondée sur le poids du corps (body weight exercise, selon Dimitrios) transforme trottoirs, barres et escaliers en véritables agrès urbains. Née dans les rues de New York, elle se pratique aujourd’hui aux quatre coins du globe et séduit, au Liban, une jeunesse assoiffée d’expression physique, de liberté et de dépassement de soi.
De la rue aux championnats du monde
Pompes explosives, tractions millimétrées, équilibres défiant la gravité… La callisthénie redessine les codes du fitness. Et parmi ceux qui en incarnent la nouvelle génération, un nom revient avec insistance: Dimitrios Nicolas Yaacoub.
Étudiant en physiothérapie, il s’apprête, à 21 ans, à représenter le Liban au Championnat du monde de callisthénie, organisé par la World Street Workout & Calisthenics Federation (WSWCF) en Bulgarie. Ce n’est pas une première: la fédération libanaise de Heritage and Traditional Sports a organisé les deux premières éditions du Lebanese Calisthenics National Championship en 2023 et 2024, dont Dimitrios est sorti double vainqueur.
Huit ans qu’il pratique. Huit ans de sueur, de figures improbables, de douleurs parfois. Huit ans à sculpter son corps comme un outil d’expression. Et depuis peu, il s’entraîne au Next Level Gym, sous l’œil affûté de son coach, George Khachacho.
Une école du corps… et de la tête
«La callisthénie, c’est l’école du corps, affirme-t-il. Tu apprends à écouter chaque muscle, à contrôler chaque mouvement. Pas besoin de machines sophistiquées: juste ton poids, ton mental et ta persévérance.» Un sport complet, qui développe force, souplesse, endurance et, surtout, concentration mentale.
Contrairement à une idée reçue, la callisthénie n’est pas une sous-discipline de la gymnastique. «C’est différent, insiste Dimitrios. En gymnastique, ils sont très forts aux anneaux. Nous, c’est les barres. Il y a une philosophie, un rapport au corps qui n’a rien à voir.» Pour lui, la callisthénie mérite largement sa place aux Jeux olympiques.
Et le plus beau, c’est qu’on peut commencer jeune. Très jeune. «À partir de 7 ans, c’est idéal. C’est excellent pour la densité osseuse, donc contre l’ostéoporose. Et puis ça travaille énormément le cardio. En plus, c’est un sport très sûr. Il y a très peu de blessures.»
Une pratique en pleine expansion
Longtemps considérée comme une simple tendance sur TikTok ou Instagram, la callisthénie prend désormais une autre dimension au Liban. L’engouement dépasse les codes des réseaux sociaux. «Ça commence comme un trend, mais ça prend vraiment de l’ampleur. Les filles aussi s’y mettent de plus en plus», se réjouit Dimitrios.
Le premier championnat national s’est tenu au Forum de Beyrouth – un symbole. Depuis, des clubs se montent, des entraînements s’organisent à la Corniche, à la plage, dans les parcs. La rue devient gymnase, et les barres, terrain d’épanouissement.
Un drapeau sur les barres
Sa qualification pour le mondial n’a rien d’un cadeau. Faute de sponsor ou de soutien financier solide, Dimitrios a dû financer lui-même son déplacement en Bulgarie, ainsi que celui de son coach. «Heureusement, j’ai un bon soutien moral de la fédération», lâche-t-il avec pudeur.
Mais le moral, justement, est intact. Inébranlable. «Je vais représenter mon pays avec fierté. Même si je suis le seul Libanais, je ne me sentirai pas seul. Je porterai avec moi tous ceux qui croient encore qu’on peut briller, même quand tout est sombre.»
Et si l’on devait résumer la callisthénie en une image? Ce serait celle de Dimitrios, suspendu à une barre, défiant la gravité, les doutes, la fatigue. Un corps qui tient bon. Une volonté qui refuse de lâcher. Et quelque part, entre le ciel et l’acier, un drapeau invisible qui flotte. Rouge, blanc, vert – et têtu comme l’espoir.
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