Le réchauffement climatique, une menace stratégique pour les armées
©Photo transmise par le service de presse de la 24e Brigade mécanisée des Forces armées ukrainiennes / AFP.

Répondre aux conséquences des catastrophes climatiques ou à la montée des tensions géopolitiques autour de l'Arctique : le changement climatique fait désormais partie des enjeux auxquels sont confrontées les armées du monde entier, et ne doit pas devenir « un angle mort » de leur action, estiment les experts.

« On ne peut y échapper. Le climat n’a que faire de qui remporte une élection ou des objectifs politiques du moment. Cela arrive, et les armées doivent s’y préparer », affirme Erin Sikorsky, directrice du Centre pour le climat et la sécurité, basé à Washington.

Les inquiétudes grandissent quant à la manière de faire face à ce défi majeur et de s’adapter à des menaces en constante évolution, alors que l’Europe renforce sa défense dans un contexte tendu, et que les États-Unis se désengagent de certaines alliances stratégiques et de leurs engagements écologiques.

« Lacunes stratégiques »

Depuis son arrivée à la Maison Blanche, Donald Trump a supprimé toute mention du climat sur les sites internet gouvernementaux, et la dernière évaluation des menaces publiée par les services de renseignement américains ne fait aucune allusion au changement climatique.

« Ce qui m’inquiète, en tant qu’ancienne spécialiste de la sécurité nationale, c’est que cet angle mort met les États-Unis en danger », souligne Mme Sikorsky. Elle regrette des « lacunes stratégiques cruciales », notamment en ce qui concerne la Chine — superpuissance des énergies renouvelables — et la course à la suprématie dans l’Arctique, où la fonte de la banquise ouvre de nouvelles routes maritimes et un accès à des ressources convoitées.

En Europe, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a ravivé les craintes en matière de sécurité énergétique et accéléré les ambitions de nombreux pays dans le domaine des énergies renouvelables. Mais, parallèlement, les budgets alloués au climat ont été réduits au profit de la défense et du commerce.

La ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, a déclaré en mars que, malgré la situation géopolitique « extrêmement difficile », l’action climatique devait rester une « priorité en matière de sécurité ». L’ambitieux plan d’investissement de l’Allemagne prévoit 500 milliards d’euros pour l’armée et les infrastructures, ainsi que 100 milliards pour des mesures climatiques.

« Quiconque réfléchit à la sécurité doit également prendre en compte le climat. Nous vivons déjà une crise climatique », affirme une étude commandée par les ministères allemands des Affaires étrangères et de la Défense, publiée en février.

Les défis climatiques se manifestent dans « l’ensemble des missions militaires », avec des risques accrus, notamment de mauvaises récoltes à grande échelle, de conflits et d’instabilité.

Instrumentalisation des catastrophes

Les forces armées sont de plus en plus mobilisées pour faire face aux inondations, tempêtes et incendies de forêt, ce qui met leurs capacités à rude épreuve, souligne Mme Sikorsky. Son organisation a recensé plus de 500 interventions militaires d’urgence dans le monde depuis 2022.

Par ailleurs, certaines catastrophes climatiques sont « instrumentalisées » par des États, explique-t-elle.

À l’automne 2024, alors que la Pologne subissait d’importantes inondations provoquées par la tempête Boris et que des soldats étaient mobilisés pour évacuer les habitants et déblayer les débris, le gouvernement polonais a signalé une augmentation de 300 % des campagnes de désinformation russe en ligne, ciblant les opérations de secours.

Le réchauffement climatique a aussi des implications opérationnelles majeures. Les températures extrêmes peuvent affecter la santé des soldats et même réduire la capacité de chargement des avions, note Mme Sikorsky.

Vulnérabilité énergétique

Les armées ne sont pas tenues de déclarer leurs émissions de gaz à effet de serre, ce qui rend leur contribution exacte au réchauffement planétaire difficile à évaluer.

Cependant, un rapport de l’Union européenne publié en 2024 estime que l’empreinte carbone des forces armées dans le monde pourrait représenter jusqu’à 5,5 % des émissions globales.

Ce même rapport met en lumière leur forte dépendance aux combustibles fossiles, source de « vulnérabilités importantes » en situation de combat.

Ainsi, les convois de carburant constituent des cibles faciles pour les engins explosifs improvisés, responsables de près de la moitié des décès américains en Irak et d’environ 40 % en Afghanistan.

Les énergies renouvelables pourraient permettre de réduire ces risques, selon le rapport, même si la technologie actuelle « n’est pas encore totalement adaptée au combat ».

Par Kelly Macnamara / AFP

Commentaires
  • Aucun commentaire