La Crimée reconnue russe? Un séisme pour l'ordre international
Sur cette photo de famille diffusée par l'agence d'État russe Sputnik, le président russe Vladimir Poutine participe à une réunion avec le chef d'état-major général des forces armées russes par vidéoconférence à la résidence d'État de Novo-Ogaryovo, à l'extérieur de Moscou, le 26 avril 2025. ©Alexander KAZAKOV / POOL / AFP

La reconnaissance de l'annexion par la Russie de la Crimée constituerait un bouleversement des règles qui régissent l'ordre international, et sa légalité même pourrait être mise en doute, estiment des spécialistes en droit et relations internationales interrogés par l'AFP.

Le rattachement sur le plan légal à la Russie de cette péninsule ukrainienne annexée en 2014 est avancé, selon les médias, dans la proposition américaine de règlement du conflit entre Moscou et Kiev. Pour le président ukrainien Volodymyr Zelensky, il n'en est pas question.

Que signifierait la reconnaissance de la souveraineté russe sur la Crimée ?

Une reconnaissance « de jure » (en droit) contreviendrait aux principes qui fondent l'ordre international établi avec la création des Nations unies, s'accordent ces experts.

Le droit international s'est bâti depuis 1945 sur l'interdiction de la guerre d'agression et l'autodétermination des peuples. Les modifications de frontières ne peuvent être que librement consenties.

Grâce à cela, « il n'y a eu aucun cas d'un pays qui s'agrandisse en saisissant militairement le territoire d'un autre depuis 80 ans », constate Phillips O'Brien, professeur à l'université écossaise de St Andrews.

Contraindre l'Ukraine à reconnaître la souveraineté russe sur la Crimée, « c'est le retour du droit de conquête », considère Élie Tenenbaum, de l'Institut français des relations internationales (Ifri).

« Le message que cela envoie est qu'il peut être payant, au moins pour les grandes puissances, de violer cette interdiction de l'usage de la force », renchérit Lauri Mälksoo, professeur à l'université de Tartu (Estonie).

Selon lui, la reconnaissance par Washington de la souveraineté russe sur la Crimée constituerait aussi un « changement majeur » pour les États-Unis, à l'origine en 1932 de la doctrine instaurant l'obligation de non-reconnaissance d'annexions par la force.

En 2018, pendant le premier mandat de Donald Trump, ce pays s'était « engagé à maintenir » cette position de rejet de l'annexion russe de la Crimée.

Un tel précédent pourrait avoir des « conséquences extrêmement déstabilisantes, voire catastrophiques, pour la paix mondiale », juge Michel Eperling, professeur à l'Institut Max-Planck à Francfort (Allemagne). Et faire ressurgir le problème des minorités.

« Il suffit de regarder les frontières tracées au cordeau en Afrique et au Proche-Orient et la persistance de différends frontaliers en Europe, où la Hongrie conteste encore aujourd'hui les frontières léguées par le traité de Trianon de 1920 », note-t-il.

Pour Lauri Mälksoo, Donald Trump avait déjà entrouvert la boîte de Pandore en reconnaissant une souveraineté israélienne sur le Golan syrien et celle du Maroc sur le Sahara occidental.

La position française similaire adoptée depuis l'été dernier sur ce territoire contesté d'Afrique est elle aussi « extrêmement périlleuse », selon Michel Eperling.

Est-ce légalement possible ?

« En principe, tous les traités obtenus sous la contrainte sont nuls », explique Lauri Mälksoo. Tout sera donc affaire d'interprétation.

L'Ukraine pourrait « se servir de cet argument pour invoquer la nullité de tout accord qu'elle aurait été amenée à conclure », estime Michel Eperling.

Si Kiev signe avec Moscou, il faudra une révision de sa constitution et que la cession de la Crimée soit validée par référendum.

Si le peuple ukrainien l'approuve, il reviendra ensuite à chaque État d'apprécier s'il y a eu contrainte pour reconnaître ou non la souveraineté russe dans cette presqu'île.

Si les États-Unis semblent prêts à sauter le pas, la majeure partie de la communauté internationale ne reconnaît pas les annexions territoriales russes.

« Par le passé, certaines annexions territoriales illicites ont pu être acceptées et entérinées à travers des traités de paix », remarque Marie Lemey, professeure à l'Université de Bretagne occidentale.

Dans la pratique, les considérations politiques et économiques « ont toujours conduit à admettre la validité des traités passés sous la contrainte », selon elle.

Quid des autres territoires ukrainiens occupés ?

En septembre 2022, la Russie a annexé quatre autres régions ukrainiennes, qu'elle occupe partiellement : les oblasts de Donetsk, de Lougansk, de Kherson et de Zaporijjia. Une annexion « de facto », que le plan américain n'entend ni reconnaître en droit, ni remettre en cause.

Mais en acceptant de céder la Crimée, l'Ukraine créerait un précédent.

Pour Marie Lemey, « il s'agirait d'un signal dangereux envoyé à la Russie qui pourrait chercher à obtenir la reconnaissance de son occupation des autres territoires ukrainiens, mais également aux autres États ».

La Chine a par exemple des revendications sur certains territoires russes de Sibérie.

Pour Phillips O'Brien, les choses sont claires : une renonciation de Kiev à sa souveraineté sur la Crimée, « c'est le début de la fin dans le plan russe pour en finir avec l'Ukraine ».

Par Mathieu RABECHAULT / AFP

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