
Emmanuel Macron accueille mercredi à Paris le président syrien par intérim Ahmad al-Chareh pour une première visite controversée en Occident, et lui demandera, à cette occasion, de châtier les responsables d’« exactions » qui ternissent l’image de la coalition islamiste au pouvoir depuis la chute de Bachar al-Assad en décembre.
Arrivé en début d’après-midi à Paris, Ahmad al-Chareh doit être reçu vers 17H15 locales à l’Élysée avant une rare conférence de presse conjointe.
Auparavant, il a rencontré l’homme qui avait été à l’origine de milliers de photos de corps suppliciés dans des centres de détention syriens sous le règne de Bachar al-Assad. Aujourd’hui installé en France, Farid al-Mazhan, alias César, avait témoigné devant une commission du Congrès américain, et ses photos ont inspiré une loi américaine adoptée en 2020 – la loi César –, instaurant des sanctions économiques contre le régime syrien.
Le président français est vivement critiqué par la droite et l’extrême droite françaises pour l’invitation faite à cet homme au passé jihadiste.
« Stupeur et consternation », a réagi la leader du Rassemblement national Marine Le Pen. « Le tapis rouge de l’Élysée aura la couleur du sang des victimes du terrorisme islamiste », a renchéri son allié Éric Ciotti. « On ne reçoit pas des dirigeants qui sont d’anciens terroristes membres d’organisations qui veulent attaquer la France », a également affirmé le chef des députés Les Républicains Laurent Wauquiez.
« Pas de complaisance »
Des massacres qui ont fait 1 700 morts, majoritairement alaouites, dans l’ouest du pays en mars, de récents combats avec des druzes, et des sévices documentés par des ONG ont soulevé des doutes sur la capacité des nouvelles autorités à contrôler certains combattants extrémistes qui leur sont affiliés.
Plusieurs dizaines de membres des minorités religieuses syriennes ont d’ailleurs manifesté mercredi à Paris.
« Jolani (l’ex-nom de guerre de M. Chareh, NDLR) dégage ! Dégage de France, dégage de Syrie ! », ont crié les manifestants issus des communautés alaouites, druzes, chrétiennes ou encore sunnites, réunis sur la place de la République sous le drapeau syrien.
« Ce n’est pas parce qu’on a changé de tenue qu’on est devenu quelqu’un de fréquentable », a jugé Issa Ali, président du Collectif franco-alaouite à l’origine de la manifestation.
Mais, en recevant le dirigeant syrien, Emmanuel Macron espère contribuer à accompagner dans la bonne voie la transition vers « une Syrie libre, stable, souveraine et respectueuse de toutes les composantes de la société syrienne », a dit mardi l’Élysée à l’AFP.
La présidence française a balayé toute « naïveté », assurant connaître « le passé » de certains dirigeants syriens et exiger qu’il n’y ait « pas de complaisance » avec les « mouvements terroristes ».
Le chef de l’État demandera donc à son invité « de faire en sorte que la lutte contre l’impunité soit une réalité » et que « les responsables d’exactions contre les civils » soient « jugés », a ajouté son entourage lors d’un échange avec la presse.
« Notre demande, c’est celle d’une protection de tous les civils, quelle que soit leur origine et quelle que soit leur religion », a-t-on insisté.
Levée des sanctions
« Ne pas engager le dialogue avec ces autorités de transition », « ce serait irresponsable vis-à-vis des Français et surtout ce serait tapis rouge pour Daech », a aussi estimé le ministre français des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot.
Selon lui, « la lutte contre le terrorisme, la maîtrise des flux migratoires, la maîtrise des trafics de drogue », ainsi que « l’avenir du Liban » voisin, « tout cela se joue en Syrie ».
Depuis qu’elle a pris le pouvoir en décembre, la coalition islamiste dirigée par Ahmad al-Chareh tente de présenter un visage rassurant à la communauté internationale qui l’exhorte à respecter les libertés et protéger les minorités.
En jeu, la levée des sanctions imposées au pouvoir de Bachar al-Assad, qui pèsent lourdement sur l’économie du pays, exsangue après 14 années de guerre civile, avec, selon l’ONU, 90 % des Syriens vivant sous le seuil de pauvreté.
Le président al-Chareh, longtemps chef rebelle du groupe Hayat Tahrir al-Sham issu de l’ex-branche d’Al-Qaïda en Syrie, est lui-même toujours visé par une interdiction de voyager de l’ONU. Paris a dû demander une dérogation auprès des Nations unies pour permettre sa venue.
Mais si elle a soutenu la levée de certaines sanctions sectorielles de l’Union européenne, et juge que les mesures punitives américaines « pèsent sur la capacité des autorités de transition à se lancer dans une logique de reconstruction et à attirer des investissements étrangers », la France estime que le moment n’est pas encore venu de retirer le dirigeant syrien de la liste des sanctions du Conseil de sécurité de l’ONU.
AFP
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