Le soutien de la France et des monarchies pétrolières à Ahmad el-Chareh
©Stephanie Lecocq / POOL / AFP

Spécialiste des mouvements islamiques, le journaliste Badih Karhani a récemment relevé, dans un entretien accordé à notre confrère, Houna Loubnan, que la crainte réside désormais dans les menaces contre le président syrien Ahmad el-Chareh qui joue un rôle de pacificateur dans la région et qui est encouragé dans ce rôle de médiateur par ses interlocuteurs privilégiés que sont les Saoudiens et les Émiratis. Ahmad el-Chareh effectue son premier voyage en Europe, où il a été reçu, mercredi à Paris, par son homologue français, Emmanuel Macron.  

Plus de dix protagonistes, entre États et milices, étaient présents depuis de longues années sur le sol syrien: l’armée syrienne, les Pasdarans iraniens, le Hezbollah, la Russie, les armées turque et américaine dans le nord-ouest du pays, les Kurdes de la Rojava, les forces démocratiques syriennes (FDS) du commandant Mazloum Abdi, un ancien du PKK kurde protégé par les Américains, des groupes liés à Daech dans l’ouest du pays à la frontière avec l’Irak, ainsi que Hay’at Tahrir al-Cham (HTC) d’Ahmad el-Chareh, plus connu à l’époque sous le nom de guerre, Mohammad al-Joulani. C’est lui, rappelle-t-on, qui a déclenché l’offensive contre le président Bachar el-Assad, à partir d’Idleb.

La carte politique d’avant la chute du régime du clan Assad est totalement recomposée. La nouvelle configuration, bien qu’embryonnaire, fait apparaître Chareh, ancien chef de Jabhat al-Nosra, un groupe affilié à Al-Qaïda d’Ayman al-Zaouahiri, classé par les Américains parmi les groupes terroristes les plus dangereux, comme l’homme d’une hypothétique unité nationale.

Le président syrien Ahmad el-Chareh est arrivé à Paris ce mercredi, où il a été reçu par le président français Emmanuel Macron, pour une première visite controversée en Occident. M. Macron devait lui demander à cette occasion, de châtier les responsables d’«exactions» qui ternissent l’image de la coalition islamiste au pouvoir depuis la chute de Bachar el-Assad en décembre.

À la suite des événements récents qui ont ébranlé la stabilité en Syrie, que ce soit sur la côte ou dans le sud du pays face aux factions druzes, le tout sur fond de frappes israéliennes à l’intérieur du pays, les discussions se sont intensifiées quant à l’avenir du régime actuel.

Les interrogations se multiplient sur les véritables intentions du président syrien, qui a réussi en peu de temps à établir des relations solides avec plusieurs pays arabes. 

Le président français est vivement critiqué par la droite et l’extrême droite françaises pour l’invitation faite à cet homme au passé jihadiste, qu’il a reçu dans l’après-midi à l’Élysée, avant une rare conférence de presse conjointe.

Controverses franco-françaises

«Stupeur et consternation», a réagi la leader du Rassemblement national Marine Le Pen, décrivant le président syrien comme «un jihadiste passé par Daech et Al-Qaïda». «Une lourde erreur», a renchéri le chef des députés Les Républicains, Laurent Wauquiez.

Des massacres qui ont fait 1.700 morts, majoritairement alaouites, dans l’ouest du pays en mars, de récents combats avec des druzes et des sévices documentés par des ONG ont soulevé des doutes sur la capacité des nouvelles autorités syriennes à contrôler certains combattants extrémistes qui leur sont affiliés.

En le recevant, Emmanuel Macron espère contribuer à accompagner, dans la bonne voie, la transition vers «une Syrie libre, stable, souveraine et respectueuse de toutes les composantes de la société syrienne», a dit mardi l’Élysée à l’AFP.

Mais la présidence française a balayé toute «naïveté», assurant connaître «le passé» de certains dirigeants syriens et exiger qu’il n’y ait «pas de complaisance» avec les «mouvements terroristes».

Le chef de l’État demandera donc à son invité «de faire en sorte que la lutte contre l’impunité soit une réalité» et que «les responsables d’exactions contre les civils» soient «jugés», a ajouté son entourage lors d’un échange avec la presse. «Notre demande, c’est celle d’une protection de tous les civils, quelle que soit leur origine et quelle que soit leur religion», a-t-on insisté de même source.

Chareh, rempart contre l’extrémisme

Expert libanais résidant à Tripoli (Liban), Badih Karhani explique que la véritable menace ne vient pas d’Israël, mais des groupes extrémistes qui, à l’intérieur de la Syrie, portent une idéologie takfirie (excluant les autres musulmans).

Depuis son arrivée au pouvoir, Chareh a adopté un discours modéré et entrepris plusieurs mesures pour protéger les institutions de l’État.

Le président de la nouvelle autorité syrienne a également adressé des messages positifs à plusieurs pays, y compris Israël, ce qu’a confirmé son ministre des Affaires étrangères en affirmant que la Syrie ne souhaite pas être utilisée comme plateforme d’agression contre quelque pays que ce soit, y compris Israël. 

Badih Karhani précise que ce type de discours provoque les groupes extrémistes qui conservent encore une certaine puissance en Syrie. Par ailleurs, il souligne l’existence d’un soutien arabe à Chareh venu notamment de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis.

La menace interne provient ainsi des groupes incontrôlés qui restent fortement présents et très extrémistes, rejetant non seulement les chiites, druzes et chrétiens, mais aussi les sunnites modérés. Selon Badih Karhani, il est aujourd’hui nécessaire d’encourager le soutien des régimes arabes à Ahmad el-Chareh pour le protéger. «À en croire certaines informations, sans l’intervention personnelle de Chareh et sans les efforts des forces de sécurité syriennes pour contrôler la situation sur la côte, estime-t-il, les massacres y auraient été bien plus atroces.»

Karhani s’étonne des attaques israéliennes contre le régime de Chareh, alors que ce dernier a éliminé plusieurs groupes, notamment iraniens, qui représentaient une menace pour la sécurité d’Israël et a coupé les lignes de ravitaillement iraniennes.

 

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