Pas de cessez-le-feu dans la guerre de l'information entre l'Inde et le Pakistan
Entre l'Inde et le Pakistan les internautes continuent à se bombarder de fausses informations. ©Punit Paranjpe / AFP

Le cessez-le-feu entre l'Inde et le Pakistan semble tenir sur le terrain, mais en ligne les internautes continuent à se bombarder de fausses informations à propos de la pire confrontation entre les deux puissances nucléaires depuis des décennies.

Facebook et X sont toujours couverts de fausses images des violences qui ont tué une soixantaine de civils des deux côtés de la frontière et fait fuir des milliers de familles.

Les fact-checkeurs de l'AFP ont établi que de nombreuses images partagées comme étant celle du conflit montraient en réalité des épisodes des guerres en Ukraine ou à Gaza.

Les médias indiens et pakistanais ont également donné de l'écho à des fausses informations, notamment des annonces de victoires militaires, alimentant, selon les experts, un flot de discours haineux.

« Il est compliqué d'établir la réalité militaire, parce qu'en plus de la réalité des frappes difficiles à constater, il y a une guerre de la communication, comme c'est toujours le cas entre l'Inde et le Pakistan », explique à l'AFP le général Dominique Trinquand, expert en relations internationales, ex-chef de la mission militaire française auprès de l'ONU.

La désinformation a bondi quand l'Inde a lancé tôt mercredi des frappes sur ce qu'elle a présenté comme des « camps terroristes » au Pakistan, en représailles à une attaque meurtrière au Cachemire indien qu'elle impute à Islamabad malgré ses dénégations.

Après ces frappes, l'armée pakistanaise a partagé des images anciennes, montrant une frappe aérienne israélienne à Gaza en 2023. Reprises, elles ont ensuite été retirées par de nombreux médias.

Des images générées par intelligence artificielle ont ajouté à la confusion, notamment une vidéo présentée comme étant celle d'un général pakistanais annonçant avoir perdu deux avions. Le fact-check de l'AFP a démontré qu'il s'agissait d'images modifiées d'une conférence de presse de l'an dernier.

X, bloqué d'un côté, débloqué de l'autre

« Nous avons vu une nouvelle vague de vidéos et d'images générées par intelligence artificielle car l'accès aux outils pour créer des supertrucages numériques est plus large », rapporte Joyojeet Pal, de l'université américaine du Michigan.

Islamabad comme New Delhi ont tous deux profité du torrent de désinformation pour alerter et pousser leurs propres annonces et contre-annonces.

Au Pakistan, X, bloqué depuis plus d'un an, est soudainement redevenu accessible au moment où commençaient les frappes indiennes, montre une analyse de l'AFP basée sur des données de l'Open Observatory of Network Interference.

« En temps de crise, le gouvernement voulait que la voix des Pakistanais soit entendue partout dans le monde et non plus muselée comme c'était le cas avant, pour des considérations politiques nationales », décrypte pour l'AFP Usama Khilji, chef de l'organisation pakistanaise de défense des droits numériques Bolo Bhi.

Le département cybersécurité du Pakistan prévenait dès jeudi les 240 millions d'habitants contre « des cyberattaques en hausse via des mails, des QR codes ou des messages ».

De fait, vendredi, le ministère des Affaires économiques et l'Autorité gérant le port de Karachi, l'un des plus importants d'Asie du Sud, annonçaient que leurs comptes X avaient été piratés.

Les comptes ont été restaurés et après une fausse annonce sur une attaque du port, la presse a été invitée à venir constater qu'il fonctionnait normalement.

L'Inde, elle, a ordonné à X de bloquer plus de 8.000 comptes de politiciens, célébrités et médias pakistanais et internationaux, et a bloqué une dizaine de chaînes YouTube pakistanaises pour des « contenus provocateurs ».

Hors ligne et en ligne

Le site gouvernemental indien de fact-checking PIB a de son côté réfuté une soixantaine d'annonces, principalement de succès militaires pakistanais.

Cette avalanche de désinformation a fait boule de neige : les discours haineux ont explosé dans les deux pays, rivaux depuis leur douloureuse partition en 1947.

L'observatoire India Hate Lab, basé aux États-Unis, a recensé 64 discours incitant à la haine, filmés puis postés sur les réseaux sociaux, entre le 22 avril et le 2 mai -- soit avant même que les deux pays ne s'engagent dans leur escalade militaire.

L'attaque à Pahalgam, au Cachemire administré par l'Inde, a déclenché « une hausse significative des rassemblements où des leaders d'extrême droite ont utilisé cette tragédie pour inciter à la haine et à la violence contre les Indiens musulmans et les Cachemiris », note Raqib Hameed Naik, patron du Center for the Study of Organized Hate.

Or, note-t-il, « il y a une relation entre l'appel à la haine hors ligne et la montée des contenus agressifs en ligne ».

De nombreuses vidéos en ligne montrent des gens portant des habits traditionnels hindous appelant à un boycott économique des musulmans. Des discours entendus peu avant dans des rassemblements politiques dans le nord de l'Inde.

Après l'annonce du cessez-le-feu, M. Naik anticipe que les discours haineux « vont de nouveau se concentrer sur les minorités religieuses ».

« La machine de guerre s'est peut-être tue, mais les mécanismes de la haine tournent toujours ».

Par Sumit DUBEY avec Masroor GILANI/AFP

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