
En Corée du Sud comme à Taïwan, les géants des semi-conducteurs s'alarment des droits de douane ciblés que pourrait leur imposer Washington: une pression ouvertement destinée à délocaliser aux États-Unis cette production essentielle, au risque de fragiliser les pays asiatiques.
Les puces, cruciales aussi bien dans les véhicules que les téléphones et les technologies de l'intelligence artificielle (IA), sont de longue date dans le viseur du président américain Donald Trump, qui a accusé Taïwan d'avoir «volé» l'industrie américaine des semi-conducteurs et suggéré qu'il paie les États-Unis pour assurer sa défense.
Dans le sillage de sa vaste offensive douanière, Washington a ouvert en avril une enquête visant à déterminer si la dépendance des États-Unis à ses importations dans ce secteur présente un risque, ou non, pour la sécurité nationale.
Or, c'est après ce type d'enquête qu'avaient été imposées en mars et avril des surtaxes sur l'acier, l'aluminium et l'automobile.
Si de tels droits de douane sont mis en place, ils pourraient fortement nuire à Taïwan et son géant des semi-conducteurs TSMC, mais aussi à la Corée du Sud, qui abrite les deux mastodontes Samsung Electronics et SK hynix.
L'objectif recherché est affiché: Donald Trump souhaite contraindre les géants asiatiques à relocaliser leur production aux États-Unis, explique à l'AFP un ancien ingénieur de l'entreprise taïwanaise de puces MediaTek.
Sous pression, TSMC a d'ores et déjà annoncé en mars un investissement de 100 milliards de dollars aux États-Unis - salué par le président taïwanais Lai Ching-te comme un «moment historique» pour les relations entre Taipei et Washington.
«Le fait que TSMC parte à l'étranger, aux États-Unis, pour y construire des usines, c'est comme payer de l'argent à un racketteur», se désole l'ex-ingénieur de MediaTek, ajoutant que de tels projets sont voués à être à peine bénéficiaires, les marges étant «super basses» aux Etats-Unis du fait de coûts élevés.
«Du point de vue américain, il est logique de sacrifier le reste du monde pour ses propres intérêts, sauf que nous sommes justement ceux en train d'être sacrifiés», estime-t-il. Toute offensive commerciale américaine porterait un «coup violent» à TSMC, affirme l'ingénieur.
Inquiétudes sur la demande
L'impact économique d'une déstabilisation du secteur pourrait être massif: Taïwan a exporté 7,4 milliards de dollars de semi-conducteurs vers les États-Unis en 2024.
La Corée du Sud, elle, y a acheminé 10,7 milliards de dollars de puces. Et ses exportations en matière technologique se sont récemment envolées, ces clients préférant constituer des stocks avant l'imposition d'éventuelles surtaxes sectorielles.
Cette future taxation pourrait cependant être «assez complexe», anticipe Kim Yang-paeng, chercheur à l'Institut coréen pour l'économie industrielle et le commerce (KIET), auprès de l'AFP.
Plutôt que de frapper le secteur par une surtaxe générale, Washington pourrait cibler des produits spécifiques, estime-t-il, comme les mémoires à large bande passante (HBM), employées dans des supercalculateurs, et les mémoires vives dynamiques (DRAM).
Pour Samsung comme SK hynix, il existe une «inquiétude» autour d'un possible «déclin de la demande», en raison de la hausse possible des prix dans les secteurs recourant aux semi-conducteurs, décrit Jung Jae-wook, professeur à l'université Sogang de Séoul.
Séoul négocie avec Washington un «paquet commercial» afin d'empêcher la mise en place de tout nouveau droit de douane américain après le 8 juillet, terme de la pause sur les surtaxes «réciproques» des États-Unis.
Le représentant américain au Commerce Jamieson Greer doit se rendre cette semaine en Corée du Sud.
«Bouclier de silicium»
Des experts estiment cependant qu'à court terme, les puces comme les HBM seront probablement relativement protégées de toute offensive commerciale, en raison de la forte demande engendrée par les besoins en IA. D'autant que ces «semi-conducteurs n'ont aucun substitut» aux États-Unis, affirme Kim Dae-jong, professeur à l'université Sejong.
Il n'est pas non plus faisable de faire migrer toute la production en Amérique, étant donné les capacités limitées des États-Unis, explique-t-il.
Il est donc «improbable» qu'une surtaxe soit maintenue «sur le long terme», selon Jung Jae-wook de l'université Sogang. Autrement, «(cela) rendra inévitables des hausses de prix», avance-t-il.
Surtout, derrière leur poids économique, les semi-conducteurs constituent même un enjeu de sécurité nationale pour Taipei, dit Kim Yang-paeng.
Taïwan produit la majorité des puces du monde et près de toutes celles les plus avancées, s'imposant comme un maillon essentiel des chaînes d'approvisionnement de la planète: un «bouclier de silicium» censé le protéger d'une invasion ou d'un blocus par Pékin, qui revendique la souveraineté de l'île, et inciter les États-Unis à la défendre.
«D'importants changements dans son écosystème (...) en matière de semi-conducteurs sont improbables», estime donc l'expert.
Par Hieun Shin avec Joy Chiang/AFP
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