Municipales à Jezzine: duel serré CPL-FL
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À quelques jours des élections municipales prévues le samedi 24 mai 2025 au Liban-Sud, Jezzine se prépare à un scrutin aux enjeux forts. Derrière le calme apparent de cette ville touristique connue pour sa cascade de 40 m et qui abrite la plus grande forêt de pins à pignon du pays, se joue une bataille électorale serrée, marquée par des alliances inattendues, des tensions et une volonté de rupture avec la gestion passée.

La course pour les 18 sièges du conseil municipal s’annonce féroce, les candidats se livrant une lutte acharnée. En témoignent les portraits de David el-Helou, soutenu par le Courant patriotique libre (CPL), et de Béchara Aoun, appuyé notamment par les Forces libanaises (FL), placardés depuis Beyrouth à Jezzine en passant par Saïda.

Un test politique pour le CPL

La course électorale à Jezzine (la ville surtout) est d’autant plus cruciale pour le CPL qu’il tente de préserver une municipalité qu’il contrôle depuis près de deux mandats. Après sa défaite aux législatives de 2022 en perdant les 3 sièges, le parti de Gebran Bassil tente de maintenir un ancrage local dans ce bastion clé. Pour cela, il s’est allié à une figure autrefois adversaire: l’ancien député du mouvement Amal, Ibrahim Azar. Une coalition qui comprend également le Parti social nationaliste syrien (PSNS).

En face, une liste concurrente portée par Béchara Aoun regroupe des familles indépendantes, appuyées par les FL et les Kataëb. Cette opposition mise sur le renouvellement, la compétence et la transparence pour convaincre un électorat de plus en plus désenchanté par les luttes d’appareils.

Alliance contre nature

L’annonce de l’alliance CPL-Azar a surpris de nombreux observateurs. Auparavant ennemis irréductibles sur la scène locale, leur rapprochement a suscité incompréhension et critiques, y compris dans leurs propres rangs. Il convient de rappeler que Gebran Bassil avait d’ailleurs reproché au chef du Parlement et du mouvement Amal, Nabih Berry d’avoir entravé le mandat de l’ancien président de la République Michel Aoun, l’accusant entre autres de «ne pas l’avoir laissé gouverner».  

«Cette alliance serait pour le CPL un ballon d’essai en vue des prochaines législatives en 2026 pour tenter de se maintenir à flot», fait valoir à Ici Beyrouth une source proche du dossier à Jezzine.

Les divisions sont particulièrement vives au sein même du camp aouniste. L’ancien député Ziad Assouad, mis à l’écart par Gebran Bassil, a dénoncé une mainmise du CPL sur les alliances locales, tout en affirmant en revanche qu’il soutiendrait le candidat David el-Helou, mais qu’il ne votera pas pour des candidats affiliés à des partis toutes listes confondues. Un vote panaché par ses partisans, notamment en faveur de la liste adverse, n’est pas à écarter, et c’est à ce moment-là que la donne pourrait se compliquer.

Le nom de David el-Helou n’est pas nouveau dans la politique locale: il est le frère de Ghazi El-Helou, fidèle du CPL, et de Walid el-Helou, ancien président du conseil municipal dont les désaccords avec le parti avaient provoqué des remous lors des mandats précédents. Ces conflits familiaux, ajoutés aux tensions internes du CPL, fragilisent la cohésion de la liste.

Jezzine, bastion stratégique pour le Hezbollah aussi

À ce jour, 10 des 37 villages du caza de Jezzine ont vu leurs conseils municipaux élus d’office, dont certains à majorité chiite. Dans les zones où le tandem Amal-Hezbollah est présent, des tentatives de consensus sont en cours pour éviter les affrontements électoraux.

Jezzine est considéré comme un bastion stratégique pour le Hezbollah, qui y maintient une présence significative. Affaibli par la dernière guerre avec Israël, le mouvement pro-iranien cherche à préserver son ancrage dans la région. Selon la source susmentionnée, une réunion Hezbollah-CPL se serait tenue dans la banlieue sud de Beyrouth, fief du Hezbollah, au cours de laquelle un message clair aurait été donné: «Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre Jezzine.» Il s’agirait surtout de ne pas perdre aux législatives l’année prochaine dans cette région stratégique pour ces deux partis.

Il convient de rappeler que la relation entre le CPL et son allié, le Hezbollah, s’est nettement dégradée ces dernières années, notamment en raison de l’opposition du CPL à l’ouverture du «front de soutien» du Hezbollah à Gaza en 2023, mais aussi du soutien apporté par ce dernier à la candidature de Sleiman Frangié à la présidence de la République, à laquelle Gebran Bassil était fermement opposé.

Le bitume électoral

Autre élément marquant: la réhabilitation de la route ouest de Jezzine appelée Maabour, restée en chantier depuis trois ans. Si l’achèvement des travaux, financés par la Banque mondiale, a soulagé la population, sa coïncidence avec le scrutin a également été interprétée comme un geste électoraliste destiné à redorer l’image du parti orange. Les FL ont ainsi dénoncé une «instrumentalisation du développement».

Au-delà de la ville, des batailles serrées à caractère familial sont prévues dans plusieurs villages du caza, tels que Roum, Haytoura, Aytoulé, Kfar Falous, Aïn el-Mir et Lebaa, indique à Ici Beyrouth une source municipale.

Les enjeux de pouvoir vont au-delà de la ville elle-même: le vainqueur contrôlera aussi la fédération des municipalités de Jezzine, un outil stratégique pour obtenir financements et développement à l’échelle du caza.  

Le CPL espère renverser la tendance et faire oublier les accusations de mauvaise gestion, notamment celles visant l’actuel président du conseil municipal, Khalil Harfouch, dont plusieurs dossiers d’abus présumés ont refait surface dans la presse. Pour les FL, une victoire, ou même une simple percée à Jezzine, constituerait un succès venant consolider leur performance aux législatives de 2022, à un an seulement des prochaines élections parlementaires. 

 

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