Concile de Nicée, ce que nommer veut dire
©Ici Beyrouth

Nommer ce qui nous entoure, c’est l'amadouer, le rendre intelligible, c’est appréhender l’ordre mystérieux et vertigineux du monde. C’est le classer et l’ordonner. Dans la Bible, au livre de la Genèse, nous lisons que Dieu modela de la terre tout le monde animal et confia à l’homme le soin de le nommer «afin que tout être vivant portât le nom que lui donnerait l'homme» (Genèse 2:19). Cette fonction de nommer est propre à l’homme, et elle se perpétue de génération en génération. 

Ce qui est vrai dans le monde des choses l’est aussi dans le monde de l’être. C’est le propre des grands esprits d'«ordonner», et ce n’est pas là chose légère. N’a-t-on pas dit que mal nommer les choses, c’est contribuer au malheur du monde?  Et nous savons tous par expérience, aussi bien dans nos sociétés que dans nos familles, que la paix passe par l’ordre, car «Dieu n’est pas un Dieu de désordre, mais de paix», dit saint Paul, réprimandant l’Église à Corinthe pour des cultes désordonnés (1 Co 14:33).

Le Concile de Nicée (aujourd’hui Iznik, sur la côte turque), dont l’Église commémore en ces jours le 1.700e anniversaire, a été convoqué exactement pour ça: nommer, définir, classer. Mais on touche là, en partie, aux choses de Dieu. Les théologiens sont les poètes et philosophes du ciel. 

D'après des journalistes ayant échangé directement avec le saint-père, Léon XIV aurait dû se rendre en Turquie pour fêter le 1.700e anniversaire du Concile de Nicée et rencontrer les plus hautes instances des Églises d’Orient, complétant un projet préparé par François. François avait prévu de se rendre dans le nord de la Turquie le 24 mai précisément, mais Léon XIV ne pourra pas tenir ce délai. Le déplacement en Turquie n’est toutefois que reporté.

Le Saint-Siège tient à cette commémoration, car le Concile de Nicée est à ses yeux fondateur. Il est symbole d'unité. Le grand enjeu de ce concile qui avait réuni, en 325, près de 300 évêques de toutes les provinces orientales de l’Empire romain, n'était autre que la divinité du Christ, contestée par le prêtre Arius, une forte tête d'Alexandrie. 

Sous l'influence de la philosophie grecque, en particulier du néoplatonisme, Arius défendait l’idée que le Fils n’est pas de même nature que le Père et donc qu’il ne faut pas l’adorer. Pour lui, le Christ est une sorte de «démiurge», une «émanation», qui, selon la philosophie grecque et dans un esprit mécaniste, est un artisan divin qui façonne le monde à partir d’un chaos préexistant, en l'ordonnant selon le modèle des idées. Il impose l’ordre à la matière selon l’intelligible.

Dans leur volonté de dialoguer avec la philosophie grecque, certains pères de l’Église, comme Justin Martyr, Clément d’Alexandrie ou Origène, reprendront certains traits du démiurge, mais en les réinterprétant, insistant sur le fait que le Logos (le Verbe), identifié au Christ, n’est pas un artisan subalterne, mais coéternel au Père, «engendré, non pas créé», «de même substance que le Père». À l’issue du rassemblement nicéen, une conclusion non négociable est tirée: le Fils est de même nature que le Père et doit donc être adoré.

Plusieurs autres dissidences religieuses, qui divisaient alors les communautés chrétiennes, furent également discutées à Nicée. Ainsi, le donatisme en Afrique – le refus de valider des sacrements délivrés par les évêques qui avaient failli lors de la persécution de Dioclétien (303-305) – et le schisme mélitien en Égypte – Les Mélitiens revendiquaient l'autonomie des Églises de Moyenne-Égypte et de Haute-Égypte par rapport à celle d’Alexandrie. Le concile promulgua de plus vingt canons disciplinaires relatifs à l'organisation ecclésiastique, à la discipline cléricale, à la hiérarchie des sièges épiscopaux et aux règles liturgiques. Il statua par ailleurs sur la date de Pâques, qui devait s'affranchir du calendrier juif.

Le concile de Nicée reste une étape fondatrice dans l'histoire du christianisme, tant sur le plan doctrinal que dans la définition des rapports entre l'Église et l'Empire. En mettant de l’ordre dans les choses de la foi, il en mettait dans l’empire romain. Il faut quand même garder à l’esprit que cet «ordre» touche aux choses de Dieu, pour lesquelles la personne ne peut se passer des lumières surnaturelles promises par le Christ dans ces paroles figurant dans l’Évangile selon saint Jean: «Mais le Consolateur, l'Esprit-Saint, que le Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses, et vous rappellera tout ce que je vous ai dit.» (Jean 14:26).

Comme le dit si bien le philosophe chrétien Jacques Maritain: «La vérité de la Foi est la vérité infiniment transcendante du mystère de Dieu. Et cependant, cette vérité transcendante, Dieu a voulu qu'elle soit exprimée (...) dans des concepts et des mots humains. Cela est caractéristique de la révélation judéo-chrétienne. La révélation n'est pas informulable, elle est formée. Il en est ainsi parce que la Seconde Personne de la Trinité est le Verbe, et parce que le Verbe s'est incarné. Les concepts et les mots qui nous transmettent la révélation sont à la fois vrais (ils nous font réellement connaître ce qui est caché en Dieu) et essentiellement mystérieux («in aenigmate»): ils restent disproportionnés à la Réalité qu’ils atteignent sans ni la circonscrire ni la comprendre. (...)  C’est en méditant là-dessus que le chrétien bénit l’obscurité de la Foi, par laquelle la Vérité absolue, qui n’est vue que dans la Gloire, entre dès cette pauvre vie terrestre en compagnonnage avec lui. C'est dans cette obscurité sainte qu'i peut adorer en esprit et en vérité». (Le Paysan de la Garonne, page 135).

 

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