L’après 25 mai 2000: dérapages en cascade
©AFP

Un quart siècle, c’est peu dans la vie d’une nation. Mais c’est quand même beaucoup pour une population déjà prise en otage durant des décennies du fait des guerres et des crises existentielles fiévreuses alimentées par les appétences insatiables des puissances et factions régionales. Le 25 mai 2000, le Hezbollah célébrait en grande pompe le retrait du dernier soldat israélien du Liban-Sud, au terme d’une occupation qui avait duré près de vingt-deux ans.

Avec le retrait israélien total, nombre de Libanais rendaient hommage aux jeunes cadres et militants du Hezbollah qui, au fil des ans (depuis la création du parti pro-iranien, au début des années 80), avaient sacrifié leurs vies, à la fleur de l’âge, pour défendre une cause qui s’est avérée être, au final, la consolidation des ambitions régionales de la République islamique iranienne, beaucoup plus que la lutte contre la présence israélienne dans la zone méridionale du pays.

En ce mois de mai 2000, le directoire du Hezbollah criait victoire, accordant à l’appareil du parti, à la «résistance islamique», tout le crédit de la libération. Mais c’était vite oublier que la première résistance apparue à la suite de l’invasion de 1982 était loin d’être islamique. Elle était laïque et avait été initiée par une mouvance de gauche, principalement par le Parti communiste libanais (PCL), à l’initiative surtout de son ancien secrétaire général, feu Georges Haoui, et de l’ancien député Élias Atallah.

En ce mois de mai 2000, on passait sous silence un fait indéniable: les premiers résistants, des cadres supérieurs et des militants de gauche, avaient été combattus, et liquidés, par l’appareil de la formation pro-iranienne. On reléguait en outre aux oubliettes la guerre fratricide que le Hezbollah avait menée contre la milice chiite rivale, celle du mouvement Amal (soutenue par le régime Assad), à la fin des années 80, notamment en 1988 dans la banlieue sud. Cette guerre meurtrière, qui avait fait des dizaines de tués dans les rangs des miliciens de part et d’autre, avait permis au parti pro-iranien de s’imposer manu militari, définitivement, comme seul maître du terrain face à Israël.           

En réalité, ce sont plutôt les mentors iraniens du Hezbollah, en l’occurrence l’aile radicale du régime des mollahs sous l’autorité du Guide suprême Ali Khamenei, qui s’étaient rendus maîtres du jeu sur la scène libanaise, et par ricochet dans la région. Wilayat el-Faqih oblige… Et c’est là que le bât blesse. Le retrait israélien permettra, certes, au parti pro-iranien de s’attribuer, sous couvert de «résistance», une légitimité qu’il exploitera «à pleines dents» pour se forger une place prépondérante sur l’échiquier politique local. Mais fidèle au choix idéologique qu’il avait avalisé lors de sa fondation au milieu des années 1980, en l’occurrence faire acte d’allégeance absolue envers le Guide suprême (le wali el-faqih), le Hezbollah s’engagera progressivement, sous l’impulsion de Téhéran, après le retrait israélien, dans un long processus guerrier et déstabilisateur qui servira la raison d’État iranienne, mais qui provoquera la ruine du Liban, semant au fil des années mort et destructions, notamment au niveau de la communauté chiite.

Durant toute la phase qui suivra la date charnière de mai 2000, le Parti de Dieu sera amené, sur les injonctions de ses mentors, à prendre une série d’initiatives dont l’aboutissement a été la déconstruction de l’État central au profit de son mini-État mafieux et des intérêts géostratégiques de l’aile dure de la République islamique… La guerre de juillet 2006; le torpillage de la résolution 1701 du Conseil de sécurité adoptée à la fin de cette aventure guerrière; les campagnes politiques et médiatiques assidues contre les pays du Golfe; l’envoi d’instructeurs au Yémen pour entraîner les Houthis à bombarder les installations d’Aramco en Arabie saoudite; l’implication directe et intensive dans la guerre syrienne pour sauver le régime de Bachar el-Assad; la mise en place de cellules subversives au Koweït, à Chypre, en Allemagne, en Grande-Bretagne et dans d’autres pays d’Europe et d’Amérique latine; la mainmise milicienne sur les rouages de l’État; la contrebande à grande échelle en direction du marché syrien; l’attitude arrogante et hautaine à l’égard de toutes les factions et composantes libanaises; et, cerise sur le gâteau, la «guerre de soutien» au Hamas (!), déclenchée le 8 octobre 2023, en dépit de l’opposition de la quasi-totalité des leaders du pays: autant de faux pas qui ont entraîné le Hezbollah sur la pente raide des dérapages en cascade qui lui ont fait perdre progressivement toute l’aura qu’il s’était forgée dans le sillage du retrait israélien.

La grave erreur stratégique que le Hezb a commise au cours de ces vingt-cinq ans, et dont il paie aujourd’hui un très lourd tribut, aura été de s’en tenir à son alignement idéologique et de se faire exclusivement l’instrument privilégié de l’aile radicale du régime des mollahs, en faisant fi de toutes les considérations libanaises les plus élémentaires. Pour le directoire du parti, la scène locale est perçue comme un simple recoin de l’immense échiquier régional sur lequel le Guide suprême déplace ses pions au gré d’ambitions hégémoniques et d’intérêts stratégiques iraniens dont la population libanaise n’en a cure…     

Commentaires
  • Aucun commentaire