
Pour Anguelina, faire des enfants est une question de «patriotisme». La jeune mariée se reconnaît bien dans les «valeurs traditionnelles» promues par le Kremlin pour doper la natalité des Russes, au plus bas, en pleine offensive de l'armée en Ukraine.
Pour Vladimir Poutine, l'hiver démographique est une affaire d'État. Fin décembre, le président russe alertait sur une «extinction» des Russes si la courbe ne s'inversait pas.
Car avec 1,22 million de naissances en 2024 et 1,18 million attendues cette année, il s'agit d'«un antirecord pour la Russie depuis 225 ans», alerte Alexeï Rakcha, un démographe indépendant que Moscou classe désormais comme «agent de l'étranger».
Pourtant, avec officiellement 1,41 enfant par femme en âge de procréer en 2023, contre 1,38 pour la moyenne européenne, hors immigration, «la Russie diffère peu de la plupart des pays développés où la natalité est en berne», explique M. Rakcha.
Des indices loin du taux de 2,1 nécessaire pour assurer le renouvellement des générations.
La Russie compte 145,6 millions d'habitants, dont les 2,5 millions de résidents de la Crimée, annexée en 2014. Et elle risque de perdre jusqu'à 15 millions d'habitants au cours des vingt prochaines années, selon le scénario pessimiste de l'Agence nationale des statistiques (Rosstat), publié en janvier 2024.
Morts au combat et alcoolisme
Ce déclin est l'écho de l'effondrement des naissances amorcé à la chute de l'Union soviétique en 1991, rappelle Alexeï Rakcha: «le nombre de Russes en âge de procréer diminuera de 40% entre 2010 et 2030».
Mais pour le plus vaste pays du monde, le déclin démographique est aussi visible à travers l'espérance de vie de ses hommes, qui était officiellement de 68 ans en 2023, soit 12 de moins que chez les femmes.
Et depuis l'offensive russe en Ukraine, en février 2022, les autorités verrouillent les informations relatives à ce sujet : les statistiques mensuelles des morts détaillées ne sont plus publiées par Rosstat depuis mars 2022 et le dernier bilan officiel des pertes militaires russes (5.937 morts) remonte à septembre 2022.
Le média russe indépendant Mediazona et la BBC ont néanmoins identifié 111.387 militaires russes tués, selon leur dernier bilan non exhaustif, actualisé début juin. Un bilan jamais commenté, ni démenti par le Kremlin.
Selon M. Rakcha, qui a lui-même travaillé au sein de Rosstat par le passé, le conflit russo-ukrainien «a raccourci d'environ deux ans l'espérance de vie des hommes russes, à près de 66 ans aujourd'hui».
L'alcoolisme est un autre facteur qui plonge la démographie russe dans l'abîme.
Elena Matveïeva avait 23 ans quand elle a épousé Iouri. Trente-cinq ans plus tard, cette brune menue aux yeux tristes estime avoir «raté (sa) vie, passée avec un alcoolique». Il y a six mois, Iouri, à peine 60 ans, a été retrouvé mort dans sa voiture à l'arrêt, où il buvait seul.
Pour sa veuve, l'alcoolisme est «une malédiction nationale».
De même, pour Galina Petrovna, 66 ans, dont «plusieurs amies sexagénaires sont déjà veuves».
«Il faut faire plus d'enfants pour ne pas disparaître», lance cette mère de quatre filles, dont «la cadette a déjà sept enfants».
Généreuses allocations
Pour inciter les Russes à faire des enfants, l’État a dégainé une palette de mesures.
La dernière en date, lancée en mars, prévoit des primes équivalant à 1.000 euros pour chaque étudiante donnant naissance.
En novembre, Vladimir Poutine a promulgué une loi qui bannit la «promotion d'un mode de vie sans enfants». L'amende peut aller jusqu'à 5 millions de roubles, environ 47.000 euros.
À l'inverse, le Kremlin promeut les «valeurs traditionnelles», dont la famille composée d'une mère, d'un père et de nombreux enfants est la manifestation la plus saillante.
Un discours au patriotisme exacerbé remis au goût du jour depuis le début de l'offensive en Ukraine. Et qui fait mouche auprès de certains.
«Nous apprécions davantage notre pays, notre peuple. Nous sommes davantage patriotes», qu'avant 2022, dit à l'AFP Anguelina Alexeïeva, 34 ans, tout juste mariée à un policier. «On veut avoir au moins trois enfants, comme tous mes frères et mes sœurs (...) et plusieurs de mes amis».
De généreuses allocations de maternité et des subventions pour le logement attribuées aux familles nombreuses avaient déjà favorisé la naissance, dès 2007, de 2,5 millions d'enfants supplémentaires, sans toutefois régler la crise en cours, souligne Alexeï Rakcha.
Depuis, le taux de troisième enfant par famille a plus que doublé et celui du quatrième a placé la Russie à la tête de la liste d'une trentaine de pays développés.
AFP
Commentaires