Casino du Liban: le jackpot du scandale
©Ici Beyrouth

La roue tourne pour le Casino du Liban. Pour ce fleuron du divertissement, niché depuis des décennies à Maameltein, rien ne va plus. Au cœur d’une enquête tentaculaire où se croisent soupçons de blanchiment, jeux en ligne illégaux, collusions politiques et montages financiers obscurs, le temple du jeu fait l’objet, depuis 2023 notamment, de plusieurs scandales.

Ce n’est toutefois que depuis la fin du mois de juin 2025 que l’affaire prend une nouvelle tournure. L’interdiction de voyage prononcée, vendredi dernier, par la procureure financière par intérim, Dora el-Khazen, à l’encontre du PDG du Casino, Roland Khoury, marque le point culminant de cette affaire. De quoi s’agit-il?

Le 27 juin, la magistrate émet donc une interdiction de voyager contre M. Khoury, proche, pour la «petite» histoire, du Courant patriotique libre (CPL).

Ce dernier, alors en déplacement à l’étranger, rentre précipitamment à Beyrouth, affirmant vouloir coopérer pleinement avec la justice.

La décision judiciaire fait suite à une perquisition menée le 18 juin dans les locaux du Casino, au cours de laquelle des agents de la Sécurité de l’État ont saisi serveurs et ordinateurs.

C’est à ce stade que les enquêteurs commencent à reconstituer les contours d’un système plus vaste. L’affaire trouve son origine dans l’essor incontrôlé des jeux de hasard en ligne, qui prolifèrent depuis quelque temps sur le marché noir libanais.

Des milliers de Libanais, y compris des mineurs, accèdent en quelques clics à des plateformes non régulées, misant leur maigre salaire sur des interfaces illégales. Face à ce chaos, le Casino du Liban tente de reprendre la main en lançant, en décembre 2022, sa propre plateforme numérique: Betarabia.com, confiée à la société locale Onlive Support Services (OSS).

Cette initiative, censée encadrer le secteur et en reprendre le contrôle, aurait ouvert la voie à un tout autre phénomène. OSS est aujourd’hui accusée d’avoir utilisé cette façade légale pour canaliser des flux financiers vers des sites de jeux illégaux. Le tout générant des bénéfices faramineux, hors taxes et hors de tout cadre légal.

À mesure que les investigations progressent, l’affaire dépasse rapidement le simple cadre technologique. En recoupant les données saisies au Casino avec celles obtenues lors de descentes parallèles dans les bureaux de la société de transfert d’argent OMT, les enquêteurs mettent au jour une toile beaucoup plus complexe. Celle-ci révèle d’importants transferts de fonds, des connexions douteuses entre OSS, OMT et certains réseaux politiques influents, notamment le CPL. Le nom de Gebran Bassil serait cité à plusieurs reprises dans les documents internes de l’enquête, aux côtés de celui de l’ex-député Amal Abou Zeid. Tous deux sont soupçonnés d’avoir orchestré des circuits de financement politique non déclarés, voire d’avoir utilisé ce canal dans le cadre de campagnes électorales, notamment en vue des législatives de 2026.

Plus encore et derrière ces ramifications financières et politiques se cache également un débat juridique fondamental. Le Casino du Liban est-il une entité purement privée ou bien une institution semi-publique devant se soumettre aux règles strictes des marchés publics? Pour son PDG, Roland Khoury, l’affaire est tranchée. Longtemps, M. Khoury a considéré que l’établissement, majoritairement détenu par l’ex-banque Intra, elle-même propriété de la Banque du Liban, n’a jamais été soumis aux obligations d’adjudication. Une thèse défendue à tort. Selon le directeur des adjudications, Jean Ellieh, cet argument ne tient pas. Le fait que le Casino reverse une part de ses revenus au Trésor en fait, selon lui, un acteur du service public, soumis aux exigences de transparence et de mise en concurrence.

Cette controverse réactive, de fait, les soupçons entourant l’attribution du contrat à OSS. Un appel d’offres avait été lancé en juin 2020, auquel plusieurs entreprises avaient répondu. Toutefois, un grand nombre d’entre elles furent écartées après une intervention du bureau du boycott d’Israël, qui avait dénoncé des liens commerciaux présumés directs avec des entités israéliennes. Si OSS a été finalement retenue, la question demeure: l’entreprise aurait-elle, elle aussi, des connexions indirectes avec des sociétés figurant sur la liste noire? Même si la loi libanaise n’interdit pas formellement ces collaborations en cascade, le simple soupçon d’un lien, aussi ténu soit-il, suffit, dans un contexte aussi inflammable, à entacher la légitimité du projet.

Dès lors, la justice tente de démêler les fils d’un système opaque qui aurait fonctionné dans l’impunité la plus totale. Les serveurs saisis sont actuellement passés au crible par des experts financiers et informatiques, afin de retracer le parcours exact des transactions suspectes. Parallèlement, le contrat liant le Casino à OSS a été transmis à la Cour des comptes qui devra se prononcer sur sa validité.

Dans l’enceinte du Parlement, une proposition de loi visant à encadrer strictement les jeux en ligne est désormais en discussion, dans un climat d’urgence sécuritaire, mais aussi de panique morale.

Entre complicités politiques, montages douteux et responsabilités diluées, une seule question demeure: la justice libanaise saura-t-elle, cette fois-ci, aller jusqu’au bout?

Commentaires
  • Aucun commentaire