
Adoptée à la Chambre américaine des représentants, le 22 mai dernier, à une seule voix près, la One Big Beautiful Bill Act (OBBBA), surnommée la «Big Beautiful Bill» (BBB), est en ce moment le texte budgétaire le plus ambitieux et le plus polarisant porté par Donald Trump depuis son retour sur la scène politique.
Le texte existe actuellement sous deux versions distinctes: celle de la Chambre, déjà votée, et celle du Sénat, toujours en cours de débat. De quoi s’agit-il?
Des réductions fiscales massives
Conçue comme une réponse directe à la politique fiscale de Joe Biden et comme une version réaffirmée du Tax Cuts and Jobs Act de 2017, la BBB s’articule autour d’un triptyque clair: prolonger et élargir les réductions d’impôts, réduire certaines dépenses sociales et renforcer les dépenses de défense et de sécurité aux frontières.
Le cœur économique du projet repose sur un principe libéral classique: la baisse de la fiscalité, notamment sur les entreprises et les revenus du travail, est censée stimuler l’investissement, la consommation et, à terme, la croissance.
La version adoptée par la Chambre fixe notamment la prolongation des baisses d’impôts introduites en 2017, élargit les déductions fiscales pour les dons caritatifs, supprime les impôts sur les pourboires et les heures supplémentaires et quadruple le plafond de déduction des taxes locales et étatiques (la fameuse «SALT deduction») jusqu’à 40.000 dollars pour certains ménages.
Selon la Heritage Foundation, cette dernière mesure profiterait principalement aux contribuables des États à forte imposition, comme la Californie ou New York, et coûterait environ 377 milliards de dollars sur dix ans.
La version du Sénat: un pari assumé sur la croissance
C’est surtout la version du Sénat, examinée en urgence fin juin 2025, qui accentue la dimension pro-croissance du texte.
Elle rend permanent un dispositif qui permet aux entreprises de déduire immédiatement de leurs impôts ce qu’elles dépensent pour acheter des machines ou investir dans la recherche.
Une disposition temporaire étend même ce traitement à certains bâtiments industriels (usines ou installations de fabrication, entrepôts, etc.).
D’après la Tax Foundation, ces mesures structurelles pourraient accroître le PIB américain de 1,1% à long terme, générant quelque 900 milliards de recettes fiscales.
Des déficits sans pleurs
Pour autant, cet optimisme est tempéré par l’ampleur des déficits que la loi entraînerait. Le Congressional Budget Office (CBO) estime que la version de la Chambre augmenterait le déficit primaire (hors intérêts) de 2.400 milliards de dollars sur dix ans, tandis que la version du Sénat porterait ce chiffre à 3.300 milliards.
Une fois les intérêts de la dette ajoutés, l’impact total dépasserait 4.000 milliards. En comparaison, les coupes budgétaires proposées, essentiellement dans les dépenses sociales, ne représentent qu’environ 1.200 milliards de dollars, bien en deçà des baisses de recettes fiscales.
À long terme, on peut s’inquiéter du risque de ce que les économistes appellent un effet d’éviction: en creusant massivement les déficits, la BBB pourrait entraîner une hausse des taux d’intérêt, rendant l’emprunt plus coûteux pour les entreprises et freinant ainsi l’investissement privé. Le Trésor devra émettre davantage d’obligations, ce qui pourrait aussi détourner une partie de l’épargne nationale au détriment du secteur productif.
Ces déséquilibres ont une portée politique: la Chambre avait voté un cadre fiscal imposant que toute baisse d’impôt supérieure à 2.500 milliards soit compensée par des réductions de dépenses supplémentaires.
La version du Sénat, qui dépasse ce seuil sans proposer de nouvelles économies, viole cette condition, provoquant la colère des faucons budgétaires républicains, pourtant traditionnellement favorables aux réductions fiscales.
À cela s’ajoute une complexité fiscale grandissante. Contrairement à la réforme de 2017, qui réduisait les niches fiscales au profit de baisses de taux, la BBB en accumule.
On y trouve plus de 500 milliards de dollars de crédits d’impôt nouveaux ou élargis, selon le cabinet Arnold Ventures.
Parmi les mesures les plus discutées, figurent la création des «Trump Accounts», des comptes d’investissement pour enfants dotés de 1.000 dollars d’argent public, ainsi que l’exonération des pourboires, l’élargissement de la déduction pour les personnes âgées, ou encore des avantages ciblés pour l’adoption, les logements abordables, l’élevage de baleines en Alaska ou la distillation de rhum à Porto Rico.
Ces dispositions, souvent temporaires jusqu’en 2028, dissimulent leur coût réel à long terme.
L’opinion publique divisée
Sur le plan social, la BBB suscite de fortes oppositions. Le projet durcit les conditions d’accès à Medicaid et à l’aide alimentaire (SNAP), ce qui pourrait priver environ 10,9 millions d’Américains d’une couverture santé, selon le CBO, et plusieurs millions de foyers d’assistance alimentaire, selon l’Urban Institute.
Pour les Républicains, ces mesures visent à encourager le retour à l’emploi et à réduire les fraudes. Pour les Démocrates, elles constituent un recul majeur de l’État-providence.
L’opinion publique, quant à elle, reste divisée. Un sondage du Pew Research Center réalisé fin mai révèle que 49% des Américains sont opposés à la BBB, contre 29%, favorables.
Une majorité relative (54%) pense qu’elle aura un effet négatif sur l’économie et 55% estiment qu’elle profitera surtout aux plus riches. Cette perception est renforcée par la réforme SALT qui, bien que plafonnée, bénéficie essentiellement aux ménages aisés des États bleus.
Politiquement, la loi cristallise l’opposition entre deux visions de l’économie: l’une fondée sur les incitations fiscales, la compétitivité et la responsabilité individuelle; l’autre sur la redistribution, les investissements publics et la protection sociale.
La suite des débats au Sénat, et surtout la phase de conciliation entre les deux chambres, seront décisives. Car pour que cette réforme devienne réellement «belle», il faudra sans doute plus qu’un nom marketing: un équilibre entre efficacité économique et soutenabilité budgétaire sera nécessaire.
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