Putsch au Burkina: Paris attaqué, Moscou dans le coin
Le Burkina Faso a subi son second coup d'État en huit mois. Vendredi 30 septembre, le colonel Damiba a été destitué par la même junte militaire qui l'avait mis à la tête du pays en janvier. Complexe, la situation représente un pas de plus vers le déclassement de la France dans la région, notamment au profit de la Russie.

La tentative de coup d'Etat au Burkina Faso entérine encore un peu plus le déclassement de l'influence française en Afrique de l'Ouest, au profit en particulier d'une Russie conquérante, qui surfe sur des opinions publiques devenues hostiles à Paris.

Même si la situation reste confuse dans le pays, le chef de l'Etat destitué n'ayant pas abdiqué, la dynamique négative pour la France n'est ni récente ni anecdotique et gagne du terrain, alors que dans le même temps, la contagion jihadiste s'étend. Les groupes armés frappent de plus en plus fort au Sahel et s'infiltrent vers le golfe de Guinée.
Attaque de l'ambassade de France



 

Des grenades de gaz lacrymogène ont été tirées dimanche de l'intérieur de l'ambassade de France à Ouagadougou pour disperser des manifestants soutenant le putschiste autoproclamé Ibrahim Traoré, a constaté un journaliste de l'AFP.

Quelques dizaines de manifestants s'étaient rassemblés devant l'ambassade, mettant le feu à des barrières de protection et jetant des pierres à l'intérieur du bâtiment, sur le toit duquel étaient positionnés des soldats français, quand les gaz ont été tirés.

D'autres manifestants ont également été vus par le journaliste de l'AFP arracher des barbelés pour tenter d'escalader le mur d'enceinte du bâtiment diplomatique.

Samedi en fin d'après-midi, deux institutions françaises avaient été prises pour cible par des manifestants: un incendie s'était déjà déclaré devant l'ambassade de France à Ouagadougou et un autre devant l'Institut français à Bobo-Dioulasso.

Burkina Faso Dans un communiqué lu à la télévision nationale et signé par le capitaine Ibrahim Traoré, les militaires qui ont pris le pouvoir au Burkina Faso accusent le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, renversé la veille, de "planifier une contre-offensive", depuis une "base française", près de Ouagadougou, ce que la France dément.

 

La claque est d'autant plus rude pour Paris qu'elle s'inscrit dans une tendance lourde.
La France dans le collimateur de la junte

A peine 24 heures après le début du coup contre le colonel Damiba, lui même arrivé au pouvoir par un coup d'Etat en janvier, les putschistes ont accusé la France de l'aider à reconquérir le pouvoir - accusations immédiatement balayées par Paris - dans une situation extrêmement confuse.

Ils ont aussi revendiqué la "ferme volonté d'aller vers d'autres partenaires prêts à aider dans la lutte contre le terrorisme".

Une allusion implicite à la Russie, dont des drapeaux ont été aperçus au Burkina depuis deux jours. "Les putschistes inscrivent très explicitement leurs actions dans un clivage Russie versus France", relevait samedi Yvan Guichaoua, expert de la région à l'université de Kent, à Bruxelles.

Burkina Faso Des manifestants se sont rassemblés devant l'ambassade française dans la nuit du 1er au 2 octobre (AFP)

 

"Très étonnant de voir les putschistes déclarer leur flamme si vite à leur +partenaire stratégique"+ privilégié. On aurait pu imaginer qu'ils prennent le pouvoir d'abord puis fassent monter les enchères", ajoutait-il sur Twitter.

Et l'expert de poser deux hypothèses : "soit bosser avec les Russes était le projet depuis le début et on a affaire à un plan de déstabilisation mûrement réfléchi, soit on invoque de manière opportuniste le clivage France/Russie pour galvaniser les soutiens parce que le projet tangue".
Wagner dans le coin


Au Mali voisin, la France a déployé pendant neuf ans la force antijihadiste Barkhane contre les groupes affiliés à Al-Qaïda et Etat islamique, avant d'assister en 2020 à un double coup d'Etat amenant au pouvoir des militaires franchement hostiles à sa présence. Jusqu'à l'annonce par le président Emmanuel Macron du départ des soldats français qui se redéploient différemment dans la région.

Burkina Faso Le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba était arrivé au pouvoir en janvier après un putsch (AFP)

 

Simultanément, des soldats de la société de mercenaires privées russes Wagner s'installaient dans le pays, quand bien même Bamako n'évoquait que des "formateurs russes". Depuis, l'influence de Moscou s'y est renforcée, notamment via réseaux sociaux et médias russes.

Un tout récent rapport de l'Institut de Recherche stratégique de l'Ecole militaire (Irsem), dépendant du ministère français de la Défense, décrivait au Mali la "prolifération de contenus de désinformation en ligne, le plus souvent destinés à dénigrer la présence française et justifier celle de la Russie".

Il constatait aussi la contagion au Burkina voisin. "Le +pays des hommes intègres+ fait aujourd’hui partie des pays africains dans le viseur" de Wagner, écrivaient les auteurs. Qui notaient de très fortes progressions de l'audience des sites en français des médias russes RT et Sputnik depuis un an.

Burkina Faso La junte militaire a accusé la France d'aider le colonel Damiba à conserver le pouvoir (AFP)

 

Au delà du Sahel, la baisse de l'influence de la France en Afrique de l'Ouest, au cœur de ce qui était jadis son "pré carré", est patente.

"On est à la fin d'un cycle. Si on continue sur la même lancée, il y a des risques d'éviction stratégique forts de la France d'espaces importants et d'intérêts majeurs", expliquait à l'AFP en mai dernier Elie Tenenbaum, directeur du Centre des études de sécurité de l'Institut français des relations internationales (IFRI).
Changement de paradigme

"La conditionnalité démocratique nous met en porte-à-faux avec des régimes qui sont en plein recul sur ce point et n'hésitent pas à faire valoir la concurrence avec des compétiteurs qui eux ne conditionnent leur soutien à aucun critère intérieur", ajoutait-il, pointant "l'offre russe".

En quittant le Mali, Paris a promis de ne pas délaisser la lutte contre les jihadistes, qui menacent ouvertement les pays du golfe de Guinée. Des discussions sont censées être en cours entre Paris et les chancelleries africaines, mais la France revendique une volonté de discrétion.



 

"On change de paradigme (...). Aujourd'hui, se déployer avec une armada n'est plus dans l'air du temps", résumait à l'AFP cet été le colonel Hubert Beaudoin, sous-chef opérations de Barkhane à Niamey.

Un air du temps, à l'évidence, défavorable à Paris. "A qui le tour ?" s'interrogeait pleine d'ironie, une source sécuritaire ouest-africaine en évoquant le coup d'Etat au Burkina. "Au Sénégal et en Côte d'Ivoire, c’est à bas bruit, mais le vent +France dégage+ souffle également".

A terme, la France pourrait devoir quitter le Burkina. Quelque 400 soldats y sont présents avec la force Sabre, des forces spéciales qui forment des soldats burkinabé près de Ouagadougou.

Un départ jugé "certain" par une source militaire plusieurs fois déployée au Sahel.

Avec AFP
Commentaires
  • Aucun commentaire