Médicaments anti-obésité: une offensive des laboratoires jusque dans l'espace public
Alors que les laboratoires valorisent leurs traitements anti-obésité, des voix critiquent une communication jugée trop centrée sur le médicament au détriment de la prévention. ©Houna Loubnan

Les fabricants des injections à succès pour traiter l’obésité multiplient les «campagnes de sensibilisation» autour de cette pathologie, diffusant une image d’une prise en charge globale en attendant un éventuel remboursement de leurs médicaments.

Depuis juin, des affiches montrant une personne en surpoids déterminée à «agir» pour sa santé sont visibles dans plusieurs stations du métro parisien. Ces visuels, signés par le laboratoire danois Novo Nordisk, renvoient à un site internet (audeladupoids.fr) proposant des informations sur l’obésité et ses traitements, ainsi qu’à une plateforme d’orientation vers des spécialistes (monpoidsmasante.fr).

«Les personnes en situation d’obésité ne sont pas toujours disposées à demander l’aide dont elles ont besoin. Nous les encourageons à en parler avec leur médecin», justifie le groupe à l’AFP, précisant que la campagne est également diffusée à la télévision et sur les réseaux sociaux cet été.

Si la campagne de Novo Nordisk, fabricant de l’anti-obésité Wegovy, reste relativement discrète en France, une action similaire a suscité des remous en Espagne. Le ministère espagnol de la Santé a demandé le 19 juin des éclaircissements au laboratoire, estimant que certains contenus en ligne pourraient enfreindre l’interdiction de promotion des médicaments soumis à prescription.

Au printemps, le laboratoire américain Eli Lilly, fabricant du Mounjaro — un autre médicament de la classe des analogues GLP-1 —, a lancé en France une campagne d’affichage intitulée «L’obésité, c’est un truc de malade», dans plusieurs grandes villes. L’objectif affiché est de faire reconnaître l’obésité comme une maladie chronique et de rappeler les bons usages de ces traitements favorisant la perte de poids en imitant une hormone digestive.

Aucune de ces campagnes ne fait explicitement référence aux médicaments commercialisés.

«Responsabilité de l’annonceur»

«Une communication institutionnelle à l’initiative d’un laboratoire, portant par exemple un message de prévention ou d’information sur les maladies, en l’absence de toute référence à un produit vendu qu’il commercialise, n’apparaît pas contraire aux règles en vigueur», explique Stéphane Martin, directeur général de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP).

«Il relève ensuite de la responsabilité de l’annonceur de l’opportunité de diffusion d’une telle communication au regard du contexte», ajoute-t-il.

Ce contexte est délicat. Ces nouveaux médicaments, qui peuvent réduire en moyenne de 15 % à 20 % le poids des patients, suscitent un fort intérêt. Depuis le 23 juin, tout médecin en France peut en prescrire dans un cadre strict, tandis que les industriels ont engagé des démarches pour obtenir leur remboursement par l’Assurance maladie.

«Un certain nombre de manœuvres ont déjà été engagées bien avant cette campagne de publicité» de Novo Nordisk, dénonce Christian Guy-Coichard, président du Formindep, association luttant contre les conflits d’intérêts dans la santé.

Il cite notamment plusieurs visites gouvernementales sur le site du groupe à Chartres, dont une fin mai dernier où le patron du laboratoire pour la France a plaidé, en présence des ministres Catherine Vautrin, Yannick Neuder et Marc Ferracci, pour un élargissement du droit de prescription aux généralistes.

Interrogé par l’AFP, le ministère de la Santé n’a pas souhaité commenter cette campagne.

«Campagne problématique»

«Ce qui rend cette campagne encore plus problématique», selon Christian Guy-Coichard, «c’est que la seule réponse proposée aux problèmes de l’obésité (hors chirurgie) est le médicament. Il n’y a aucune réponse de prévention», alors que le plan obésité gouvernemental est attendu en septembre.

«Le laboratoire force progressivement l’ampleur de la prescription par tous les moyens possibles», juge ce praticien hospitalier retraité.

«Ils incitent clairement à la prise en charge, ce qui n’était pas le cas jusqu’ici», abonde Audrey Vaugrente, journaliste santé chez UFC-Que Choisir.

«Ce n’est pas anodin non plus d’aller voir des villes identifiées comme très actives sur la prévention de l’obésité», pour des partenariats sur des actions de prévention, comme Novo Nordisk l’a fait avec Strasbourg, souligne-t-elle.

Devenue l’une des entreprises les plus valorisées au monde, Novo Nordisk a récemment dévoilé une étude estimant le coût médico-économique de l’obésité «à près de 20 milliards d’euros par an».

«S’ils arrivent à démontrer que leur traitement réduit les coûts de prise en charge associés à l’obésité, c’est un peu le jackpot pour eux», conclut Audrey Vaugrente.

Par Anne PADIEU/AFP

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