Otages d’État français en Iran: un levier de pression diplomatique
©Ici Beyrouth

Ils seraient une vingtaine d’otages. Telle est l’estimation avancée en mai 2025 par Jean-Noël Barrot, ministre français des Affaires étrangères, au sujet des ressortissants européens ou binationaux détenus arbitrairement dans les geôles iraniennes.

Au lendemain de la guerre Iran-Israël, surnommée «guerre des 12 jours» par l’administration américaine, le sort de Cécile Kohler et Jacques Paris inquiète. Ces deux touristes français, détenus en Iran depuis mai 2022, ont été accusés d’«espionnage pour le compte du Mossad», de «complot pour renverser le régime» et de «corruption sur terre». Ces deux derniers chefs d’accusation sont les plus graves de la loi pénale islamique iranienne, passibles de la peine capitale.

Trois ans plus tôt, le 6 octobre 2022, Téhéran avait publié la vidéo des «aveux» des deux touristes, où ces derniers reconnaissaient travailler pour les services de renseignement extérieurs français. Qualifiées de «mise en scène» par le Quai d’Orsay, ces déclarations contredisent les nouvelles accusations portées à l’encontre de Cécile Kohler et Jacques Paris.

Le 16 juin 2025, trois jours après le début de la guerre entre l’État hébreu et la République islamique, un jeune Franco-Allemand de 18 ans a également été porté disparu, alors qu’il traversait l’Iran à vélo. Le régime iranien vient de reconnaître son arrestation officielle, sans préciser la nature du délit.

La «diplomatie des otages», une pratique systématisée

Ces détentions ne sont pas anodines, encore moins des phénomènes isolés. Depuis le retrait américain de l’accord sur le nucléaire en mai 2018, nous assistons à une intensification des arrestations de ressortissants occidentaux, dans une stratégie dite de «diplomatie des otages». L’État iranien utilise leur détention comme levier dans les négociations diplomatiques afin d’obtenir des concessions ou de faire pression sur les pays occidentaux.

Pour David Rigoulet-Roze, chercheur rattaché à l'Institut français d'analyse stratégique (IFAS) et spécialiste de la région du Moyen-Orient, «cette stratégie fait assez largement partie intégrante de l’ADN du régime iranien», depuis la prise d’otages de 52 civils américains par des centaines d’étudiants iraniens en novembre 1979, durant les premiers mois de la République islamique.

Aujourd’hui, cette «diplomatie des otages» s’inscrit dans une guerre hybride entre l’Iran et les grandes puissances européennes, particulièrement la France et le Royaume-Uni. Ces deux membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU menacent de rétablir les sanctions internationales contre l’Iran (ou le mécanisme «snapback»), souffrant déjà de l’embargo commercial américain. Pour le spécialiste, la détérioration récente des relations entre la France et l’Iran, comme en traduit l’inculpation de Kohler et Paris encourant désormais la peine capitale, est le résultat de ce changement de paradigme dans les négociations.

Si auparavant la libération des ressortissants occidentaux se faisait en échange d’actifs financiers ou de prisonniers iraniens, le Quai d’Orsay a annoncé que la libération de ses «otages d’État» était désormais un préalable à toute avancée diplomatique. En parlant dorénavant «d’otages d’État» et non plus de «détenus politiques», la chancellerie française insiste sur le caractère illégal des agissements du régime iranien, en totale violation des accords de Vienne de 1961 sur la diplomatie.

Mener la guerre informationnelle

Les citoyens occidentaux ne sont pas les seuls à subir la répression du régime des mollah. Les médias officiels iraniens sont clairs: depuis le cessez-le-feu, 700 civils ont été arrêtés et accusés de collaboration ou d’espionnage pour le compte d’Israël; trois hommes ont également été exécutés. Face à la défaite univoque infligée par Israël à l’Iran, conséquence d’une infiltration à grande échelle du Mossad dans l’appareil sécuritaire iranien, Téhéran mise sur la répression de masse. Dans ce contexte, la détention d’otages européens permet à la République islamique de renforcer l’unité interne autour d’un discours anti-occidental, où les «agents» étrangers sont désignés comme responsables des problèmes de gouvernance interne.

L’absence de coordination européenne

L’arrestation officielle du jeune Franco-Allemand Lennart Monterlos le 10 juillet 2025 pose la question d’une réponse coordonnée des puissances européennes et de l’éventualité d’une stratégie commune à adopter. Jusqu’alors, chaque pays négociait ses propres accords. La récurrence du recours à la prise d’otages de ressortissants européens par l’Iran révèle pourtant l’inefficacité d’une réponse à l’échelle des nations. Pour renforcer le poids de l’Union européenne dans les négociations, la création d’un poste d’envoyé spécial de l’Union pour les otages est en discussion.

Au-delà d’une symbolique, une pratique existentielle

La diplomatie des otages est consubstantielle de la structure du nezam («régime» en persan), le système politico-religieux de la République islamique, minutieusement contrôlé par les Gardiens de la révolution. Profitant de mécanismes opaques et se servant de simulacres de justice pour justifier ces détentions arbitraires, le régime iranien ne peut renoncer à la diplomatie des otages, sous peine de paraître faible face à l’ennemi occidental. Ainsi, pour David Rigoulet-Roze, «on ne peut pas espérer raisonnablement un arrêt de cette diplomatie des otages, en tant que pratique indissociable de l’État profond iranien; elle ne prendra fin sans doute qu’avec la chute du régime».

 

 

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