Face à la crise climatique, l'alpinisme s'adapte et change de voie
Face à des glaciers instables, des courses jadis classiques devenues trop risquées, et un calendrier estival chamboulé, les guides de haute montagne réinventent leur pratique, tandis que les alertes sur les conséquences du changement climatique se multiplient. ©AFP or licensors

La cordée d’alpinistes s’arrête près d’une crevasse, hésite, puis se résigne à faire demi-tour : la montée au col du Replat (3.327 m) dans les Alpes, une course jadis facile, est devenue trop risquée, la faute au changement climatique qui rabote le glacier.

«Cette jolie pente, qui était avant vraiment une classique de l’initiation de l’alpinisme dans les Écrins, est de plus en plus raide. Ça devient un peu exposé. Les conditions se dégradent assez rapidement», constate Thomas Boillot, guide de haute montagne qui connaît bien ce massif à cheval entre l’Isère et les Hautes-Alpes.

Fonte des glaciers, éboulements, moraines devenues impraticables à cause du dégel, crevasses à nu et infranchissables : les Alpes, frappées de plein fouet par le réchauffement climatique, sont en pleine métamorphose et l’alpinisme n’a pas d’autre choix que de «s’adapter» aux conditions qui deviennent dans l’ensemble plus incertaines et difficiles, expliquent les professionnels de la montagne.

«Glacier tout mou» 

Comme nombre de ses collègues, Thomas Boillot dit avoir renoncé «depuis plus de dix ans» à mener des clients au Mont-Blanc, qu’il juge désormais «trop dangereux» en raison des chutes de pierres, notamment dans le tristement célèbre couloir du Goûter, surnommé «couloir de la mort».

«Des journées comme aujourd’hui, c’est quand même super, par contre il faut choisir ses créneaux. Ça ne donne plus envie de venir quand il fait trop chaud, que le glacier est tout mou, et qu’on entend de l’eau couler, des bruits suspects», souligne-t-il.

Nombre des «100 plus belles courses» du massif du Mont-Blanc, recensées en 1973 par l’alpiniste Gaston Rébuffat dans un ouvrage faisant toujours référence, ne sont d’ores et déjà plus accessibles, comme le pilier Bonatti, une paroi effondrée en 2005, ou d’autres itinéraires jadis «archiclassiques».

Pour Clément Carpentier, le guide de la cordée d’alpinistes UCPA qui a dû faire demi-tour sur le glacier, rien n’est plus normal que d’avoir constamment en tête «des plans B, C, D, E» pour faire face aux conditions de terrain, aux aléas de la météo ou aux difficultés d’un client.

Mais cela va plus loin désormais : les bouleversements induits par le réchauffement climatique ont beaucoup fait évoluer le calendrier des courses de l’été, trop chaud et incertain, au profit des «ailes de saison».

Plus généralement, ils poussent la profession à «se réinventer, trouver de nouveaux itinéraires (...) pratiquer un autre type d’alpinisme qui soit peut-être moins tourné vers la performance, vers le sommet à tout prix, mais plus sur le moment, le côté voyage dans des vallées très sauvages», estime-t-il.

«L’image de l’alpinisme, chez beaucoup de gens, c’est quand même le glacier, la neige, et moins le rocher. Il faut qu’on arrive à montrer au grand public que ce n’est pas que ça. En montagne, il y a plein de choses à faire et c’est toujours là», souligne-t-il.

«Crier dans le désert» 

Les guides et gardiens de refuges, aux premières loges des bouleversements observés sur le terrain, ont toujours partagé leurs informations, mais celles-ci, «volatiles», se perdaient souvent en route, relève Jean-Marc Vengeon, président du Syndicat National des Guides de Montagne (SNGM).

Allié à des laboratoires scientifiques alpins, le Parc national des Écrins et d’autres entités, le syndicat a récemment lancé un outil collaboratif pour les mettre à disposition des chercheurs, pratiquants et des pouvoirs publics, souligne-t-il.

Ce site, baptisé «Regards d’altitude», leur permet de «savoir ce qui se passe en haut» : il a recensé sur la seule première semaine de juillet 2025 six nouveaux événements (écroulement, chutes de pierres, apparition d’un lac glaciaire) autour de Chamonix.

Cela fait 20 ans que le monde de la montagne «crie dans le désert», déplore pour sa part Xavier Cailhol, guide de haute montagne, et qui travaille sur une thèse dédiée à l’alpinisme et aux risques d’origine glaciaire.

Les montagnards ont «un vrai rôle de lanceur d’alerte à jouer en disant+ces changements sont irréversibles et extrêmement rapides+» faute d’application de l’Accord de Paris sur le climat, estime le jeune homme de 29 ans.

L’alpinisme est touché aujourd’hui, mais demain ce sera le reste de la société, avec un risque de «crise sociale complète». Or cela demeure «peu compris car trop abstrait», s’alarme-t-il.

Par Amélie HERENSTEIN/AFP

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