
Dans l’une de ses citations les plus connues, Winston Churchill soulignait, en substance, que «ceux qui échouent à apprendre de l’Histoire sont condamnés à la revivre». En d’autres termes, dans le cas très particulier de la situation actuelle au Liban, si l’on ne tire pas les leçons de notre passé contemporain, on ne saurait construire l’avenir, ni gérer le présent… Cela s’applique plus spécifiquement à la ligne de conduite du nouveau régime libanais qui prône aujourd’hui le «dialogue» et la pondération pour traiter du dossier de l’arsenal militaire du Hezbollah. Un bref survol des archives des journaux locaux du début des années 2000 est sans conteste très instructif à cet égard.
Il ressort d’un rapide «retour sur l’histoire» que le prétendu «dialogue» avec le parti pro-iranien dure depuis près de… vingt ans! Sans résultat concret, sans aucun horizon. Depuis vingt ans, les questions relatives aux armes du Hezb, au monopole de la violence légitime, à la stratégie de défense (ou de sécurité nationale), à la décision de guerre et de paix qui doit être du seul ressort de l’État, sont au centre du débat interne et ont fait l’objet d’une longue série de réunions et de concertations initiées de manière intermittente par les différents régimes présidentiels. En vain… Vingt ans de discussions entièrement stériles. Vingt ans durant lesquels le Hezbollah donnait au pouvoir l’illusion de «dialoguer» alors qu’il s’employait parallèlement à déconstruire minutieusement l’État et à pousser le pays tout entier dans le précipice…
Certains se souviendront, à titre d’exemple, qu’en 2006, le chef du législatif, Nabih Berry, avait organisé une conférence de dialogue qui s’était étalée sur une dizaine de séances tenues pendant plusieurs semaines. Au cours de la huitième réunion, au début du mois de juin 2006, le chef du PSP, Walid Joumblatt, avait présenté un document de 18 pages, insistant sur la nécessité d’une remise des armes illégales à l’État, d’un retour à l’armistice de 1949 et d’un refus du monopole de la décision de guerre et de paix par un quelconque parti. De son côté, le leader des Forces libanaises, Samir Geagea, présentait, lors de cette même séance de «dialogue», en juin 2006, une vision globale et exhaustive définissant une stratégie de défense claire, prenant en considération les appréhensions du Hezbollah et apportant à ce parti des garanties spécifiques en contrepartie d’une remise de son armement à l’État. Toujours en vain.
Les débats, les réunions, les concertations sur ce dossier se poursuivront par intermittence au fil des années. Les responsables officiels feront cependant, sans cesse, chou blanc, si bien qu’il est sans doute grand temps de tirer les leçons de ce passé peu glorieux en la matière. Il serait ainsi totalement illusoire de penser que le «dialogue», la complaisance, l’option de la main tendue et du containment, prônés par le nouveau régime, finiront par amener le Hezbollah à consentir de son plein gré à déposer gentiment les armes et à s’engager sur la voie de l’action politique pacifique, à l’instar de tous les partis qui se respectent.
L’approche soft qui s’est avérée chimérique pendant vingt ans ne saurait aboutir aujourd’hui à un résultat constructif. Et pour cause: le choix de remettre ou non les armes à l’État n’est pas du ressort du Hezbollah; il relève directement, comme toute décision d’ordre stratégique, du Guide suprême de la République islamique, Ali Khamenei. Le sort de cet arsenal milicien est tributaire d’un large projet transnational qui reflète les ambitions régionales du régime des mollahs.
Si le nouveau régime désire éviter de «revivre» lui-même, et de faire revivre aux Libanais, le douloureux passé des vingt dernières années, et s’il désire éviter de saborder d’emblée le mandat présidentiel en acceptant que le Liban demeure encore pendant cinq ans (et plus) otage de la stratégie des Pasdaran, il n’a qu’une seule option devant lui: faire preuve d’une grande fermeté, imposer son autorité par des actes sur le terrain (pour traduire dans les faits ses déclarations d’intention) en affichant sa détermination à faire respecter ses propres choix souverains. Il bénéficie sur ce plan du vaste soutien de la communauté internationale, des pays du Golfe et de l’écrasante majorité de l’opinion libanaise et des forces vives du pays. En clair, et comme dans le film Le Parrain, il se doit de trouver le moyen de «reprendre la main», de présenter au Hezbollah une proposition qu’il «ne peut pas refuser» ou de le placer dans une situation qui ne lui laisse d’autre choix que de se soumettre au pouvoir de l’État, en dépit de son alignement idéologique sur la doctrine de la wilayet el-faqih.
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