Pourquoi les lingettes sont l'ennemi public numéro un des réseaux d'eau
Jetées dans les toilettes, les lingettes humides obstruent les réseaux d’assainissement, coûtent des milliards chaque année et contribuent à la pollution plastique, cible des négociations internationales. ©Ben Stansall / AFP

Dans les bennes de la station d’épuration, un tas gris de fibres plastiques autrefois immaculées grandit d’heure en heure: les lingettes, produit du quotidien jeté à tort dans les toilettes, sont le cauchemar des réseaux d’eau et de l’environnement.

«On cherche à piéger, retirer les lingettes du flux, pour empêcher qu’elles ne colmatent les pompes et ne viennent perturber la filière de traitement de l’eau en aval», explique à l’AFP Olivier Browne, directeur, pour le syndicat d’assainissement de l’agglomération parisienne (Siaap), de l’usine de Seine Amont à Valenton (Val-de-Marne).

À mi-chemin d’un puits en béton de 45 mètres de profondeur, l’eau est relevée à un fort débit, jusqu’à 15 mètres cube par seconde en entrée d’usine.

Elle passe par un dégrilleur, sorte de grand peigne qui filtre l’eau pour éviter que de gros déchets ne viennent boucher les pompes de la station qui traitent les eaux usées.

Parmi ces déchets, «on a pratiquement 80% de lingettes», qu’elles servent à nettoyer les bébés ou la cuvette des toilettes, déplore M. Browne.

Même si certains fabricants proposent désormais des lingettes en coton, la plupart comportent des fibres plastiques, selon les professionnels de l’eau.

C’est un des problèmes sur la table des 180 pays réunis cette semaine à Genève pour tenter d’élaborer un traité international contre la pollution plastique.

Selon une étude des ONG ReZero et Zero Waste Europe, «généralement» le tissu est fait de fibres de coton et de rayonne (ou viscose), ainsi que de résines plastiques comme le polyester, le polyéthylène et le polypropylène.

Ces matières, «même si elles se dégradent, vont laisser des microplastiques et de toute façon, il y aura une pollution environnementale», assure M. Browne.

Lorsqu’une pompe est bouchée, «vous êtes obligé d’y aller avec des gants très épais, et souvent on y va au cutter, parce que c’est tellement colmaté que c’est impossible de faire autrement», assure à ses côtés Christophe Mercier, responsable adjoint du pôle pompage de l’usine.

Début juillet, ses équipes ont retiré un amas de lingettes de la station de pompage voisine - 150 kilos pour 2,20 mètres de long et 1 mètre de large - avant qu’il ne vienne boucher la station.

Fléau «numéro un»

Le phénomène n’est ni nouveau ni cantonné à la France: en 2018, un amas répugnant de 130 tonnes, constitué de graisse alimentaire et de lingettes hygiéniques, a ainsi obstrué les égouts de Londres.

«Incontestablement» c’est le fléau «numéro un» des réseaux d’eau, pour Stanislas Pouradier-Duteil, directeur technique de Veolia Eau France.

Si le problème est ancien, «il y a eu un super pic» au moment de l’épidémie de Covid-19, explique-t-il, pour des raisons évidentes de besoin de désinfection.

L’organisation européenne des acteurs privés EurEau estimait en 2014 l’impact financier d’une utilisation inappropriée des toilettes «entre 500 millions et 1 milliard d’euros par an» en Europe.

En 2024, ce chiffre avait «doublé, pour un coût désormais estimé entre 1 et 2 milliards d’euros par an», notamment en raison de «l’utilisation croissante de tous types de lingettes humides par les consommateurs».

Les lingettes représentent, selon M. Pouradier-Duteil, «jusqu’à 70% des interventions de débouchage» des réseaux d’eau. En cause, la fausse allégation longuement propagée selon laquelle elles seraient biodégradables, un qualificatif que la loi Agec sur l’économie circulaire interdit désormais de mentionner en France.

Cette loi a également abouti à la création en juillet d’un éco-organisme chargé de mettre en place des actions pour réduire l’impact environnemental de ces produits, financées par leurs metteurs en marché.

«Biodégradable, ça ne veut rien dire, tout dépend quelle échelle de temps on y associe», déclare M. Browne, selon qui, pour la lingette, «l’ordre de grandeur c’est 3 mois» pour se dégrader, alors qu’entre le jet de cette dernière dans les toilettes et l’usine d’épuration, il y a environ trois jours.

«Il faut absolument bannir ce geste du jet de la lingette dans les toilettes».

Par Nicolas GUBERT et Madeleine PRADEL/AFP

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