
Cinq sièges supplémentaires au Texas, deux dans l’Ohio, un dans le Missouri: à travers les États‑Unis, Donald Trump encourage ses alliés à recourir au gerrymandering, cette pratique qui permet de renforcer un parti au Congrès.
«J’ai gagné le Texas», a-t-il rappelé lors d’une interview sur CNBC, soulignant que les Républicains «méritent cinq sièges de plus» lors des élections de mi‑mandat de 2026.
Pour ses partisans, ce n’est pas une tricherie: c’est l’utilisation habile d’un outil légal et historique de la politique américaine.
Qu’est‑ce que le gerrymandering?
Le gerrymandering désigne le traçage des limites des circonscriptions pour avantager un camp politique. Les législatures des États tracent les cartes électorales et disposent d’une large latitude pour redessiner les districts après chaque recensement. Le terme lui‑même remonte à 1812, lorsque le gouverneur du Massachusetts, Elbridge Gerry, a validé un redécoupage où un district aux contours étranges rappelait la forme d’une salamandre. Un journal satirique a alors baptisé la créature «Gerry‑mander», contraction de Gerry et salamander.
Deux méthodes sont souvent utilisées: le «packing», qui concentre les électeurs adverses dans quelques circonscriptions pour limiter leur influence ailleurs, et le «cracking», qui les disperse afin de diluer leur poids électoral.
La Heritage Foundation, think tank conservateur, rappelle que cette pratique est non seulement légale mais aussi inévitable dans une démocratie fédérale. Elle souligne que la Cour suprême, dans l’affaire Rucho v. Common Cause (2019), a clairement jugé que le découpage partisan est une question politique et non judiciaire. «On ne peut pas sortir la politique du redécoupage », affirme Heritage: tenter d’éliminer toute influence partisane reviendrait à nier la réalité même du système américain.
La normalité d’un jeu politique ancien
Pour la Heritage Foundation, le gerrymandering n’est pas une anomalie: il fait partie intégrante de l’histoire électorale américaine depuis le XIXe siècle. Les pères fondateurs eux‑mêmes ont confié le découpage aux législatures des États, en sachant que des considérations politiques entreraient en jeu.
Heritage critique également les commissions dites indépendantes mises en place dans certains États démocrates: loin de supprimer les biais, elles déplacent simplement la politique derrière des portes closes. Les membres de ces commissions sont désignés par des responsables élus et restent donc, directement ou indirectement, influencés par des logiques partisanes.
Le mythe d’un avantage républicain permanent
La Brookings Institution, un think tank centriste, nuance l’idée selon laquelle le gerrymandering garantirait un avantage durable aux Républicains. Selon Brookings, les effets de ces cartes sont souvent moins durables qu’on ne le pense. Les changements démographiques, la mobilité des électeurs et les retournements politiques peuvent rapidement annuler un gain artificiel obtenu par un redécoupage partisan.
Le think tank souligne que, sur plusieurs cycles électoraux, les cartes ne suffisent pas à déterminer l’issue des scrutins. Les dynamiques électorales locales, la participation ou les événements nationaux ont un impact plus fort que le tracé exact des districts. Ainsi, présenter le gerrymandering républicain comme une menace systémique pour la démocratie est exagéré: son effet est réel mais limité dans le temps. Dans ce contexte, les Républicains assument pleinement leur stratégie.
Répondre à l’arme égale
Pour Donald Trump et ses alliés, recourir au gerrymandering est un moyen de rééquilibrer une compétition où les démocrates font de même dans leurs bastions. La Californie ou l’Illinois offrent des exemples de surreprésentation démocrate historique, des cas évidents de gerrymandering en faveur des bleus, selon Daron Shaw, de l'université du Texas, cité par l’AFP.
Les Républicains estiment donc agir «à armes égales» dans un système où aucun camp n’est irréprochable. Leur justification va plus loin: selon eux, les cartes républicaines corrigent un biais urbain qui favorise naturellement les démocrates.
Les grandes villes, à majorité progressiste, concentrent un électorat qui, sans redécoupage, se traduirait par une sous‑représentation des zones rurales conservatrices. Pour les stratèges républicains, le gerrymandering ne vole pas des sièges; il reflète le jeu institutionnel prévu par la Constitution.
Les opposants dénoncent parfois une dilution du vote des minorités, notamment au Texas, dans le comté de Harris (Houston) ou à Dallas. Selon la Cour suprême, un redécoupage devient contestable lorsque la race prédomine sur les critères traditionnels comme la compacité ou la continuité des districts. Dans ce cas, il est soumis à un contrôle strict, et l’État doit démontrer un intérêt impérieux et un plan étroitement adapté pour éviter la dilution du vote des minorités.
Pour Donald Trump et ses partisans, tracer des cartes favorables revient à jouer selon les règles et à exploiter un levier dont les démocrates se sont eux‑mêmes servis pendant des décennies.
Au‑delà des polémiques, le gerrymandering reste un reflet de la mécanique électorale américaine: un jeu de frontières où chaque trait sur la carte peut décider de l’équilibre du pouvoir à Washington.
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