
En France, la rentrée politique s’annonce mouvementée: le Premier ministre engage la responsabilité de son gouvernement sur un plan d’économies controversé, tandis que les appels à la grève et au blocage national du 10 septembre sèment déjà le doute sur la stabilité du pays. Entre Assemblée nationale fracturée et colère populaire, l’exécutif doit naviguer dans une période de turbulence exceptionnelle.
Ce mercredi, le président français Emmanuel Macron réunit son gouvernement à l’Élysée pour un Conseil des ministres que beaucoup qualifient déjà de «conseil de survie». Après un été passé au Fort de Brégançon, le chef de l’État espérait donner le ton d’une rentrée maîtrisée. Mais à la place, l’exécutif se retrouve au bord de la rupture, tant à l’Assemblée nationale que face à la rue.
Le Premier ministre François Bayrou a pris tout le monde de court en annonçant qu’il engagerait la responsabilité de son gouvernement le 8 septembre sur son plan budgétaire et de désendettement. Cette décision, mal préparée et très contestée jusque dans la majorité, place la France au bord d’une nouvelle crise politique.
Le pari risqué de Bayrou
Le cœur du plan présenté par Matignon est clair: 44 milliards d’euros d’économies en 2026, pour ramener le déficit sous les 3% du PIB d’ici 2027 et rassurer Bruxelles ainsi que les marchés financiers. Mais la méthode choque. Suppression de jours fériés, coup de rabot sur certaines aides sociales, hausse de la fiscalité ciblée sur les plus hauts patrimoines: autant de mesures explosives à la veille d’une rentrée déjà tendue.
«Je ne comprends pas ce coup de poker», résume au micro de France 2 Raphaël Glucksmann, chef du mouvement Place publique (centre-gauche). «Pas de concertation, pas de dialogue, et tout d’un coup on demande un blanc-seing», poursuit-il.
Même au sein du camp présidentiel, les doutes sont nombreux. Gabriel Attal, l’ancien Premier ministre, reconnaît que la décision est «difficile à défendre», tout en assurant qu’elle doit désormais être assumée collectivement.
Une majorité introuvable
Les oppositions annoncent déjà la couleur: le Parti socialiste (PS, centre-gauche), La France insoumise (LFI, gauche radicale) et le Rassemblement national (RN, extrême-droite) voteront contre la confiance. Sans ces voix, le gouvernement n’a pratiquement aucune chance de franchir l’épreuve parlementaire. Même chez Les Républicains (LR, droite), alliés ponctuels de la majorité, l’unité n’existe pas. «Il n’y a pas de consensus pour soutenir Bayrou», glisse une source parlementaire LR.
Dans ce contexte, la survie du gouvernement dépend de quelques dizaines de voix. Une défaite signifierait la démission immédiate du Premier ministre et une nouvelle crise institutionnelle pour Emmanuel Macron, qui devrait soit nommer un successeur, soit dissoudre l’Assemblée nationale. Or, selon un sondage Ifop, 63% des Français souhaitent une dissolution anticipée, contre 41% en juin.
Marchés et partenaires européens inquiets
Cette instabilité politique se répercute déjà sur les marchés: la Bourse de Paris recule de près de 2%, et les banques françaises, détentrices massives de dette publique, voient leurs actions chuter. Les taux d’emprunt à dix ans se tendent, ravivant le spectre d’une crise de la dette dans la zone euro.
La France affiche une dette publique de 114% du PIB, troisième niveau le plus élevé de la zone euro derrière la Grèce et l’Italie. Plusieurs responsables européens s’inquiètent en coulisses de voir Paris incapable de tenir ses engagements budgétaires si le gouvernement s’effondre.
Le 10 septembre: «Bloquons tout»
Comme si la crise politique ne suffisait pas, l’exécutif doit aussi faire face à une contestation sociale inédite. Un collectif citoyen né sur Internet, baptisé «Bloquons tout», appelle à un blocage national le 10 septembre. L’objectif est de paralyser le pays — transports, écoles, administrations et grandes infrastructures, pour dénoncer un budget jugé «injuste et antisocial».
Le mot d’ordre rencontre un large écho. Selon une enquête Toluna-Harris, 63% des Français approuvent l’appel. Les images des Gilets jaunes ressurgissent dans les esprits: ronds-points, barrages routiers, manifestations massives. Les syndicats hésitent mais certains se rallient. Sud Rail a déjà déposé un préavis de grève, et la CGT laisse planer la possibilité d’un soutien.
Sur le plan politique, les réactions se multiplient. Jean-Luc Mélenchon, leader de LFI, appelle à transformer le 10 septembre en grève générale. Le PS se dit prêt à accompagner le mouvement sans en faire une récupération. Le RN, plus ambigu, se tient officiellement à distance tout en dénonçant «la casse sociale» du plan Bayrou. Même au sein de la majorité, la crainte existe de voir ce 10 septembre se transformer en détonateur incontrôlable.
Jours déterminants
Les jours qui viennent sont déterminants. Le 8 septembre, François Bayrou joue sa survie lors du vote de confiance à l’Assemblée nationale. Deux jours plus tard, le 10 septembre, la France risque d’être paralysée par une grève et des blocages d’ampleur nationale.
Beaucoup redoutent un engrenage: si Bayrou tombe le 8, la mobilisation sociale pourrait se transformer en mouvement contre Emmanuel Macron lui-même. S’il survit de justesse, la contestation dans la rue pourrait rendre son action impossible.
Le président Emmanuel Macron se retrouve une nouvelle fois en première ligne. Doit-il tenter de sauver Bayrou coûte que coûte, quitte à assumer un gouvernement impopulaire et fragilisé? Ou au contraire prendre acte de l’échec et ouvrir la voie à une dissolution, avec tous les risques électoraux que cela comporte?
Lors du point presse suivant le Conseil des ministres, la porte-parole du gouvernement, Sophie Primas, a assuré qu’Emmanuel Macron apporte son «soutien total» à la démarche de François Bayrou. «Il a évoqué en tout début d'intervention la situation politique et les enjeux auxquels notre pays fait face, puis il est revenu une deuxième fois sur le sujet, apportant son soutien à cette démarche», a-t-elle expliqué.
Un ancien ministre confie néanmoins: «Le 8 septembre, quoi qu’il arrive, on change de séquence. Soit le gouvernement tombe, soit il survit mais devient ingouvernable. Dans les deux cas, la crise est devant nous.»
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