Cherche leaders régionaux lucides à l'image de Sadate
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L’habit ne fait pas le moine… Un dicton qui sied bien aujourd’hui aux porte-étendards du courant radical iranien ainsi qu’aux dirigeants du Hezbollah au Liban (sans compter les proxys en Irak et au Yémen) qui multiplient les déclarations incendiaires et les postures médiatiques souvent démentielles, parfois même risibles. Réagissant aux bouleversements en cours dans la région, ils n’hésitent pas, sur un ton haineux, à brandir toute sorte de menaces surréalistes contre les États-Unis, les pays européens, Israël et même les États du Golfe. Ils cherchent peut-être de la sorte à faire monter les enchères dans la perspective de négociations avec Washington, mais, surtout, ils tentent d’afficher une position qui se veut ferme et intransigeante mais qui, en réalité, reflète plutôt ce qui pourrait être perçu comme un sentiment de panique face à la tournure prise par les événements.

Cette attitude de panique est accentuée par l’isolement sans cesse croissant qui touche les jusqu’au-boutistes dans leur environnement social respectif. Le Hezbollah n’a pratiquement plus comme allié sur la scène locale que le leader d’Amal, Nabih Berry, lequel ne s’empêche pas toutefois de manifester, quand il le peut, une certaine dissonance avec la ligne de conduite tracée par la République des mollahs. Le quasi-isolement des courants radicaux est également perceptible en Iran même. Comme pour bien marquer ses divergences avec les Pasdaran, le président Massoud Pezeshkian déclarait ainsi, il y a quelques jours, que «les dissensions internes (à Téhéran) constituent un danger plus grand que le mécanisme de snapback», enclenché à la fin de la semaine dernière au Conseil de sécurité par la troïka européenne (France, Allemagne, Grande-Bretagne) en vue de relancer, dans le cadre de la résolution 2231, les sanctions onusiennes imposées en 2006, 2007, 2008 et 2010 à l’Iran en raison de son obstination à ne pas limiter son programme nucléaire.

Ces dissensions internes en Iran se sont accentuées dans le courant du mois d’août avec l’émergence du «Front des réformes» qui regroupe une trentaine de partis, d’organisations et de personnalités de premier plan qui ont publié une feuille de route réclamant de vastes réformes ainsi qu’un changement profond de la ligne de conduite du régime, notamment en ce qui concerne le dossier nucléaire ainsi que les relations avec le monde occidental et les pays du Golfe. Ce large courant réformateur stigmatise plus particulièrement la politique suivie par le régime des mollahs qui «depuis 22 ans est engagé dans des négociations d’ordre tactique (avec l’Occident) dans le seul but de gagner du temps sans jamais s’attaquer aux problèmes de fond».

L’attitude contestatrice du président Pezeshkian, la naissance du «Front des réformes» ainsi que les frondes populaires dans plusieurs villes iraniennes contribuent à isoler quelque peu les Gardiens de la révolution qui restent toutefois au stade actuel maîtres du jeu du fait de la répression sauvage qui vise les frondeurs. Il reste que la forte opposition qui se développe en Iran et au Liban (sans compter l’Irak) contre les Pasdaran et le Hezbollah n’est que le reflet d’un clivage dans la pensée et le comportement entre deux postures politiques: l’une fonde sa ligne de conduite sur la déraison, l’irrationnel et une attitude idéologique rigide qui veut en découdre avec l’Occident; et la seconde fait preuve de pragmatisme et de lucidité dans sa perception des réalités stratégiques du moment.

Un tel clivage entre le pragmatisme et la déraison n’est pas nouveau dans cette partie du monde. Il s’est manifesté de manière éclatante en 1993 lorsque le leader de l’Organisation de libération de la Palestine Yasser Arafat s’est engagé résolument sur la voie de la paix, tandis que le Premier ministre israélien et chef du parti travailliste Yitzhak Rabin manifestait de son côté suffisamment de pragmatisme et de courage politique pour tendre la main à l’OLP qu’il qualifiait de terroriste.

Ce double pas de géant a donné tout son élan au processus d’Oslo de 1993 qui avait été initié, de part et d’autre, par un groupe restreint de hauts responsables palestiniens et israéliens. Il en a résulté un accord de paix historique qui a cependant été torpillé par les deux alliés objectifs de l’époque: la droite israélienne et le Hamas, qui se font la guerre aujourd’hui à Gaza!  

Bien avant Yasser Arafat et Yitzhak Rabin, l’ancien président égyptien Anouar Sadate avait pris l’initiative historique de se rendre à Jérusalem en 1977 pour s’adresser directement aux Israéliens dans un discours à la Knesset afin de tourner la page du conflit permanent avec l’État hébreu. Il en avait résulté un traité de paix israélo-égyptien signé à Washington en mars 1979. Le président Sadate avait expliqué les fondements de sa démarche au cours d’une conférence de presse qui avait illustré un haut degré de pragmatisme géopolitique de la part du «Raïss» égyptien. Il avait alors indiqué que lors de la guerre d’octobre 1973, il avait adressé au président syrien Hafez el-Assad un message lui expliquant qu’il acceptait le cessez-le-feu avec Israël parce qu’en réalité il était pratiquement en guerre contre les États-Unis et non pas contre l’État hébreu. «Les États-Unis sont en guerre avec moi depuis dix jours et je ne suis donc pas disposé à assumer la destruction de mon peuple et de mes forces armées», avait-il souligné à l’adresse de Hafez el-Assad.

Et pour bétonner encore davantage son pragmatisme en la matière, le président Sadate avait relevé au cours de cette même conférence de presse qu’il avait visité l’Union soviétique à quatre reprises, en mars et octobre 1971 ainsi qu’en février et avril 1972. «À chaque fois, avait-il indiqué, les dirigeants de l’Union soviétique soulignaient en toute franchise qu’il était hors de question de remettre en cause les frontières d’Israël…»

Une conclusion s’impose à la lumière de ces faits historiques: dans le contexte de l’équilibre de force actuel sur les plans technologique, militaire et des Renseignements, les dirigeants de l’aile radicale du régime des mollahs et le directoire du Hezbollah ou du Hamas devraient enfin admettre que les populations du monde arabe ont plus que jamais besoin aujourd’hui de leaders lucides de la trempe d’Anouar Sadate ou Yasser Arafat car elles ont suffisamment enduré (inutilement), pendant plus de 75 ans, les affres des guerres successives stériles, sans issue et sans horizons qui les ont empêchées d’aspirer à une vie simplement normale…  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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