
Le Liban est entré dans une semaine cruciale, alors que se profile la séance du Conseil des ministres du vendredi 5 septembre, au cours de laquelle sera présenté le plan de l’armée pour le désarmement des milices, notamment le Hezbollah. Une réunion sous haute tension, dans un contexte marqué par des pressions israéliennes et américaines croissantes, de profondes divergences internes et une initiative dite «consensuelle» portée par le président de la Chambre, Nabih Berry.
Une échéance à forts enjeux
Depuis l’adoption par le gouvernement libanais, le 5 août dernier, du principe du monopole étatique des armes, et son engagement, deux jours plus tard, en faveur des onze objectifs de la feuille de route américaine pour le Liban, le pays est engagé dans une dynamique inédite.
La feuille de route en question vise à encadrer un cessez-le-feu durable avec Israël et à renforcer l’autorité de l’État sur tout le territoire, à travers notamment un désarmement de tous les groupes armés.
L’opposition farouche du tandem Amal-Hezbollah complique cependant la mission d’un État qui reste déterminé à étendre son autorité sur l’ensemble du territoire.
Deux scénarios possibles: entre compromis et rupture
Selon des sources citées par Ad-Diyar, deux scénarios sont envisageables vendredi. Le plan de l’armée serait présenté en séance, accepté sur le fond, mais sa mise en œuvre serait gelée dans l’attente d’un geste israélien suivant le principe du donnant-donnant, prévu dans la feuille de route américaine. Ce geste serait un arrêt des hostilités ou un retrait de certaines positions au Liban.
Amal et le Hezbollah mettent en avant notamment la poursuite des frappes aériennes au Liban, ainsi que le maintien d’une présence israélienne sur cinq points à la frontière pour défendre le maintien de l’arsenal de la formation pro-iranienne. Un élément sur lequel le président de la Chambre est revenu dans son discours, dimanche, alors qu’Israël intensifiait ses frappes au Liban-Sud, notamment autour de Nabatiyé, dans ce qui est considéré comme l’escalade la plus violente depuis novembre 2024. Ces attaques sont largement perçues par le tandem, comme un refus israélien catégorique de toute logique de réciprocité proposée par les Américains.
Pour le tandem, Tel Aviv exige un désarmement total et préalable du Hezbollah avant toute concession, sans offrir de garanties concrètes.
En confirmant le plan de désarmement, mais sans lancer la procédure de mise en application, le gouvernement maintient son unité, évitant un retrait des ministres du tandem Hezbollah-Amal.
Le second scénario évoqué impliquerait un vote formel et l’adoption du plan, même si les ministres chiites venaient à se retirer du gouvernement. Ce cas de figure donnerait à l’armée un mandat clair pour entamer l’exécution de son plan, mais exposerait le pays au risque de troubles, évoqués par le chef du Hezbollah, Naïm Qassem.
L’initiative consensuelle de Berry
Pour désamorcer cette tension, le chef du Parlement, Nabih Berry, a présenté une initiative, révélée par Al-Modon, visant à préserver, selon lui, l’équilibre politique tout en évitant un affrontement direct.
Concrètement, tous les ministres participeraient à la séance, y compris les chiites, mais sans vote. L’armée présenterait son plan, ses réalisations au niveau de la démilitarisation de la zone au sud du Litani, les étapes restantes, ainsi qu’un calendrier-programme indicatif sans dates précises.
Elle formulerait aussi une série de demandes: financement, soutien logistique, équipement, assistance technique et accès au renseignement, en insistant sur la nécessité d’une coopération du Hezbollah.
Le gouvernement «prendrait acte» du plan sans l’adopter formellement ni valider le calendrier, en réaffirmant son engagement envers le rétablissement de la souveraineté libanaise, ce qui impliquerait donc un retrait israélien des cinq points frontaliers et l’arrêt des raids.
«Le dialogue, un refus déguisé»
Contacté par Ici Beyrouth, Charles Jabbour, responsable de la communication des Forces libanaises (FL), souligne cependant la difficulté de prédire le déroulement de la séance, affirmant que les FL rejettent le dialogue proposé par M. Berry autour des armes.
Selon lui, le Hezbollah exige un retour explicite du gouvernement sur sa décision, tandis que le refus de M. Berry est «camouflé par l’appel à un dialogue qui vise en réalité à faire échouer la décision» du gouvernement.
Depuis 2006, lorsque le problème des armes du Hezbollah s’est posé avec acuité, le tandem opère une fuite en avant, en préconisant un vague dialogue autour d’une stratégie nationale de défense – sans aucune percée.
M. Jabbour estime que le gouvernement ne cédera pas, car «accepter le dialogue signifierait reconnaître l’échec de ses efforts». «Le gouvernement ne reviendra plus sur sa décision», affirme-t-il.
Quant aux modalités, délais et détails d’un désarmement, M. Jabbour souligne que le tout sera précisé avec le temps, ajoutant que «l’armée est devenue la seule force susceptible de préserver la souveraineté libanaise». Selon lui, le Hezb «n’est plus en mesure de provoquer un nouveau 7 mai».
Le 7 mai 2008, le Hezbollah avait envahi Beyrouth et une partie de la montagne en réaction à la décision du gouvernement Siniora de démanteler ses réseaux de télécommunications illégales et de limoger le chef de sécurité de l’aéroport de Beyrouth, qui relevait de la formation pro-iranienne. Cette crise avait abouti à l'accord de Doha, qui a rétabli un gouvernement d'union nationale et accordé au Hezbollah un rôle politique renforcé, à travers le tiers de blocage.
De son côté, le journaliste et politologue Ali Hamadé estime que même si le plan de l’armée est adopté par une majorité simple, le retrait des ministres chiites minerait la légitimité politique de la décision, conduisant à une impasse.
Il compare l’appel au dialogue de Berry à celui de 2006, qui avait mené à une paralysie prolongée. Et d’ajouter: «L’objectif du tandem chiite est d’enterrer la dynamique actuelle de reconquête de la souveraineté en la renvoyant aux calendes grecques.»
La séance du 5 septembre risque de marquer une tentative de désescalade. Le gouvernement pourrait afficher une unité de façade, l’armée dévoilerait son plan, tandis que le Hezbollah freinerait son application sans provoquer de confrontation directe, mais le Liban risque alors de s’exposer à une opération israélienne d’une violence encore plus implacable.
Elle peut aussi constituer un nouveau tournant. Affaire à suivre.
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