Le Nil en tension: l’inauguration du grand barrage éthiopien ravive les rivalités
Vue générale du Grand Barrage de la Renaissance éthiopienne (GERD) lors de sa cérémonie officielle d’inauguration à Guba, le 9 septembre 2025. ©Luis TATO / AFP

Inauguré le 9 septembre 2025 après quatorze années de chantier, le Grand barrage de la Renaissance place l’Éthiopie au rang des puissances énergétiques africaines. Mais cette prouesse technique, érigée sur le Nil Bleu, bouleverse l’équilibre régional et ravive les tensions avec l’Égypte et le Soudan, inquiets pour leur sécurité hydrique.

Après quatorze ans de travaux, l’Éthiopie a inauguré le Grand barrage de la Renaissance (GERD), le plus grand barrage hydroélectrique d’Afrique, situé sur le Nil Bleu, près de la frontière avec le Soudan.

Le GERD mesure 1,8 km de long pour 170 m de haut, avec un réservoir capable de stocker 74 milliards de mètres cubes d’eau. Sa production électrique atteint 5.150 MW, soit plus du double de la capacité actuelle du pays. Le projet doit fournir de l’électricité à 30 à 40 millions de personnes et permettre l’exportation vers les pays voisins, notamment le Soudan et le Kenya.

Les deux plus grands barrages hydroélectriques du monde se trouvent en Chine, qui s'est lancée il y a plusieurs décennies dans ce secteur pour soutenir son développement économique et limiter sa dépendance au charbon. Le plus puissant est celui des Trois-Gorges (22.500 MW), le second celui de Baihetan (16.000 MW), tous deux situés sur le Yangtsé, le plus long fleuve du pays.

Avec la Chine, seuls le Brésil, le Venezuela, la Russie et le Canada exploitent des barrages d'une puissance comparable ou supérieure à celle du GERD, selon les données de Global Energy Monitor, arrêtées au mois d’avril.

Le GERD détrône sur le continent africain le barrage de Kariba, mis en service en 1959 sur le Zambèze et principale source d'énergie hydraulique de la Zambie et du Zimbabwe avec une puissance de 2.130 MW.

Le financement du projet a été principalement assuré par la banque centrale éthiopienne, par l’émission d’obligations et grâce à des contributions publiques, après que les prêteurs étrangers eurent refusé leur soutien. Le barrage symbolise la fierté nationale et de l’ambition de l’Éthiopie de s’imposer comme un acteur énergétique majeur de la région.

Le gouvernement éthiopien défend fermement son droit souverain d’exploiter les ressources du Nil Bleu. Selon les autorités, le GERD est crucial pour le développement économique, la réduction de la pauvreté énergétique et l’autonomie énergétique de l’Éthiopie. Addis-Abeba assure que le projet n’entraîne pas de préjudice notable pour les États situés en aval et se dit ouvert au dialogue, tout en refusant toute ingérence extérieure dans la gestion du barrage..

Égypte: la peur d’une menace existentielle

Pour l’Égypte, le GERD est perçu comme une menace directe à sa sécurité hydrique. Dépendant à 97% du Nil pour son eau potable et son agriculture, le pays craint que le remplissage du réservoir ne réduise le débit du fleuve, en particulier lors des périodes de sécheresse.

Le gouvernement égyptien réclame des accords juridiquement contraignants pour encadrer le remplissage et l’exploitation du barrage. L’Égypte considère que la décision éthiopienne est unilatérale et a porté ses préoccupations devant le Conseil de sécurité de l’ONU. Cette situation a également renforcé la diplomatie égyptienne dans la région, notamment par des alliances stratégiques visant à limiter l’influence de l’Éthiopie.

Soudan: entre inquiétude et opportunité

Le Soudan, situé en aval du GERD, occupe une position intermédiaire. Le pays pourrait bénéficier de l’électricité produite par le barrage, une ressource précieuse pour combler ses propres pénuries énergétiques. Mais il redoute par ailleurs que le remplissage rapide du réservoir perturbe les niveaux d’eau, affectant l’agriculture, l’irrigation et la production hydroélectrique de ses propres barrages.

Cette dualité place le Soudan dans une situation délicate: soutenir le barrage pour en tirer profit tout en protégeant ses intérêts hydriques et agricoles. Des négociations trilatérales Éthiopie-Soudan-Égypte ont eu lieu, mais aucun accord définitif n’a encore été trouvé.

Des enjeux régionaux cruciaux

Malgré les tensions, certains pays voisins comme le Soudan et le Kenya ont exprimé leur intérêt pour l’importation de l’électricité générée par le GERD. Le barrage représente donc à la fois une opportunité de développement et un défi diplomatique, illustrant les complexités géopolitiques liées à la gestion partagée des ressources du Nil.

Le futur de la région dépendra largement de la capacité des pays à dialoguer et à coopérer, afin que le GERD devienne un moteur de développement partagé plutôt qu’une source de conflit.

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