Macron II: une instabilité inédite au sein de la Ve République
Un manifestant brandit un slogan à Paris, le 18 septembre 2025, lors d'une journée de grèves et de manifestations nationales appelées par les syndicats contre le budget national de la France. ©JULIEN DE ROSA/AFP

En moins de deux ans, la France a connu une succession de gouvernements sans précédent sous la Vᵉ République, pourtant réputée pour sa stabilité. Cette situation révèle une instabilité politique qui complique l’action de l’exécutif.

Depuis la dissolution surprise de l’Assemblée nationale par le président Emmanuel Macron le 9 juin 2024, le pays a vu se succéder pas moins de quatre Premiers ministres, chacun confronté à des rapports de force difficiles avec l’Assemblée nationale.

Une dissolution inattendue

Après sa réélection en 2022, Emmanuel Macron ne disposait que d’une majorité relative à l’Assemblée nationale. De nombreuses réformes comme celle des retraites ne pouvaient passer sans l’usage de l’article 49.3 de la Constitution. Cet article très impopulaire et souvent perçu comme un « pouvoir abusif » de l’exécutif (Élisabeth Borne, alors Première ministre, l’a utilisé 23 fois) permet de faire adopter un texte sans le vote de l’Assemblée nationale.

En effet, le Premier ministre engage la responsabilité du Gouvernement par le biais de cet article: le texte est adopté automatiquement si aucune motion de censure contre le Gouvernement n’est votée par l’Assemblée nationale. La motion de censure, qui doit être déposée dans les 24 h suivant l’usage du 49.3, ne peut être adoptée qu’à la majorité des membres de l’Assemblée nationale.

Déjà affaibli et critiqué, le camp présidentiel subit un revers lors des élections européennes de juin 2024. Le Rassemblement national (RN) arrive alors largement en tête, avec plus du double des voix du camp présidentiel. La dissolution, totalement inattendue, de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron, visait selon lui à «redonner le choix» aux Français, mettant en avant un «temps de clarification indispensable».

Cette décision paraît difficilement compréhensible lorsqu’on sait que le dernier exemple, daté de 1997 sous la présidence de Jacques Chirac, avait mené à une cohabitation avec la gauche de Lionel Jospin. Et c’était justement pour éviter les cohabitations que Chirac avait instauré le quinquennat, permettant de faire concorder les élections présidentielles et législatives.

Dans l’histoire de la Vᵉ République, une dissolution de l’Assemblée nationale a pu avoir plusieurs raisons: soit le président nouvellement élu, à l’époque du septennat, cherchait à obtenir une majorité au Parlement, soit il voulait affaiblir l’opposition en lui donnant momentanément le pouvoir, dans l’espoir d’être réélu lors des élections présidentielles suivantes.

Mais l’initiative de Macron ne correspond à aucune de ces deux raisons, étant donné qu’il ne peut exercer que deux mandats à la présidence de la République et que les dernières élections législatives avaient eu lieu en même temps que son élection. Certes, il a pu considérer, comme le suggèrent certaines analyses, que cette dissolution permettrait de discréditer ses adversaires politiques et de mieux préparer l’élection de 2027, bien qu’il n’y participe pas, ou encore de s’inscrire dans les pas du général de Gaulle et de sa dissolution de 1968. Mais, en réalité, cette décision a surtout paralysé la fin de son mandat sans affecter la popularité de ses concurrents.

Une instabilité inédite

Loin d’aboutir à une majorité claire, les élections législatives de 2024 ont formé une Assemblée nationale divisée en trois grands blocs: un camp présidentiel très affaibli, l’extrême-droite menée par le Rassemblement national et la gauche réunie au sein du Nouveau Front populaire. Gabriel Attal, qui était resté Premier ministre, s’est vu contraint de démissionner le 16 juillet 2024, sa position étant devenue précaire.

L’absence de majorité pour chacun de ces blocs va cependant permettre à Macron de garder la main sur les choix des premiers ministres. En septembre 2024, il nomme Michel Barnier comme remplaçant de Gabriel Attal, censé incarner une figure d’apaisement et de compromis. Barnier forme alors un gouvernement basé sur une alliance avec le parti Les Républicains.

Déjà dans une position fragile, Michel Barnier a invoqué l’article 49.3 pour faire adopter la loi de financement de la Sécurité sociale 2025. Cette décision a entraîné l’adoption d’une motion de censure par l’Assemblée nationale, conduisant à sa démission.

Pour le remplacer, Emmanuel Macron nomme François Bayrou, figure bien connue du centre, comme Premier ministre en décembre 2024. Dès son entrée en fonction, il ne recueillait, selon un sondage de l’Ifop, que 34% d’avis favorables, établissant un record d’impopularité pour un Premier ministre juste après sa nomination.

Fragilisé par plusieurs polémiques (Mayotte, Bétharram), Bayrou annonce la tenue d’un vote de confiance, le 8 septembre 2025, envers son gouvernement sur l’adoption de son plan budgétaire très impopulaire. L’Assemblée nationale rejette alors majoritairement la confiance au gouvernement, une première sous la Vᵉ république.

À la suite de ce nouvel échec, le président Macron nomme son ancien ministre Sébastien Lecornu comme Premier ministre, le 9 septembre 2025. Un choix très conventionnel qui risque de lui valoir le même sort que ses prédécesseurs.

Un blocage institutionnel

L’incapacité du camp présidentiel à convaincre, ainsi que l’absence de majorité à l’Assemblée nationale, bloque de fait les institutions et le mandat d’Emmanuel Macron. S’il peut toujours redissoudre l’Assemblée nationale, il est désormais clair qu’il n’obtiendra plus de majorité favorable au Parlement. En outre, la division du peuple français rend peu probable l’émergence d’une majorité d’un parti de l’opposition au sein de l’Assemblée. Il est donc difficile de voir une issue à ce blocage des institutions avant les élections présidentielles de 2027, sauf en cas peu probable d’une démission du président de la République.

Ces élections permettront sans doute l’émergence d’une certaine majorité à l’Assemblée nationale, les Français ayant toujours permis aux présidents de la Vᵉ République de pouvoir gouverner en début de mandat. Mais avec la fracture politique actuelle, il est possible que ce ne soit qu’une majorité relative comme lors des élections de 2022.

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