
Paris a suspendu sa coopération antiterroriste avec Bamako et sommé deux employés de l'ambassade du Mali en France de quitter son territoire, en réponse à l'arrestation en août à Bamako d'un agent de renseignement français sous statut diplomatique, a appris vendredi l'AFP de sources françaises et maliennes.
Les deux fonctionnaires ont été «persona non grata» et ont jusqu'à samedi pour quitter le territoire, selon une source diplomatique française.
D'après une source sécuritaire malienne, il s'agit d'un officier de gendarmerie et d'un policier, en poste au consulat et à l'ambassade du Mali, pays dirigé par une junte militaire et en proie à la violence jihadiste depuis plus d'une décennie.
Cette mesure suit l'arrestation, le 15 août, d'un officier de renseignement français affecté à l'ambassade de France à Bamako et enregistré comme tel auprès des autorités. Ces dernières l'accusent d'avoir pris part à une conspiration contre les institutions menée par «un groupuscule d'éléments marginaux des forces armées de sécurité malienne».
Le ministère français des Affaires étrangères avait alors dénoncé des «accusations sans fondement» et demandé la «libération sans délai» de son ressortissant.
«Le Mali viole délibérément une des règles les plus fondamentales du droit international, s'agissant d'un agent diplomatique dûment accrédité par les autorités maliennes. Face à un acte d'une telle gravité et d'une telle hostilité, la France a décidé de suspendre la coopération avec le Mali dans le cadre de la lutte contre le terrorisme dans ce pays à laquelle contribuait jusqu'à son arrestation l'agent arbitrairement arrêté», a déclaré vendredi à l'AFP la source diplomatique française.
Cet emprisonnement d'un Français «constitue une transgression des usages traditionnels établis par la convention de Vienne de 1961» qui régit le statut des agents diplomatiques accrédités, commente l'historien français Gilles Ferragu, enseignant à l'université Paris-Nanterre.
«On sait pertinemment que dans les délégations diplomatiques, il y a des espions», fait-il valoir, et en cas de tensions bilatérales, «il est assez courant que cela passe par des expulsions». D'après lui, la détention de cet agent français est «une démonstration de force de la part d'un régime qui a besoin de se construire une légitimité».
Confronté depuis 2012 à une profonde crise sécuritaire nourrie notamment par les violences de groupes affiliés à Al-Qaïda et à l'organisation État islamique (EI), ainsi que de groupes criminels communautaires, le Mali est dirigé par une junte militaire, arrivée au pouvoir après deux coups d'État en 2020 et 2021.
Les autorités de Bamako se sont depuis détournées de leurs partenaires occidentaux, notamment l'ancien colonisateur français, pour se tourner politiquement et militairement vers la Russie. La France a déployé pendant près d'une décennie des milliers de militaires au Sahel pour aider les pays de la région à affronter les groupes jihadistes, avant de quitter la région au fil des tensions grandissantes avec les pays hôtes, de plus en plus hostiles envers Paris.
Selon la source diplomatique française, les autorités maliennes, informées des mesures françaises, ont réagi mercredi en déclarant persona non grata «cinq personnels» de l'ambassade de France, qui avaient déjà quitté le Mali dimanche.
Malgré les tensions entre les deux capitales, les services continuaient jusqu'ici de coopérer en matière de lutte antiterroriste. La France fournissait du renseignement technique au Mali, dans un contexte sécuritaire de plus en plus dégradé, où les groupes jihadistes, notamment la branche d'Al-Qaïda, le GSIM, mettent une pression croissante, jusqu'à instaurer des blocus de plusieurs localités.
«Le groupe cherche à asphyxier Bamako», relève le think tank Timbuktu Institute, basé à Dakar. Une source sécuritaire occidentale a pointé à l'AFP la volonté du GSIM de prendre Bamako, tout en soulignant que la capitale était encore loin de tomber. Il y a juste un an, l'organisation jihadiste avait lancé des attaques meurtrières contre la capitale qui avaient fait des dizaines de morts.
La France n'entend pas en rester là pour obtenir la libération de son agent diplomatique. «Nous avons informé les autorités maliennes, via leur chargé d'affaires à Paris, que d'autres mesures seraient mises en œuvre à court terme si notre ressortissant n’était pas libéré rapidement», selon la source française.
Par Fabien ZAMORA avec Serge DANIEL/AFP
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