
Dans un paysage ravagé par près de deux ans de guerre entre Israël et le Hamas, des figures locales tentent aujourd’hui de combler le vide laissé par l’affaiblissement du mouvement palestinien à Gaza.
À Kizan al-Najjar, un village quasi déserté au sud de Khan Younès, dans le sud de l’enclave, Hossam al-Astal, ancien officier de l’Autorité palestinienne, a proclamé la création d’une milice baptisée «Force de frappe antiterroriste» (FFA).
À travers son campement de fortune, il attire des familles déplacées en quête de protection, promettant nourriture, eau, sécurité et, surtout, une vie sans la tutelle islamiste.
Dans une interview au média Times of Israel, Hossam al-Astal a déclaré recevoir quotidiennement des demandes d’accueil.
Son initiative repose sur des aides matérielles visibles – farine et boissons israéliennes, panneaux solaires, équipements militaires – qui témoignent d’une coordination implicite avec l’État hébreu. Selon lui, des canaux financiers proviennent également «des États-Unis, de l’Europe et d’États arabes», sans autre précision.
La galaxie des forces anti-Hamas
Hossam al-Astal n’est pas seul. À Rafah, le long de la frontière avec l’Égypte, son homologue Yasser Abou Shabab, issu de la tribu des Tarabin, une grande tribu bédouine, a consolidé depuis plusieurs mois un fief alternatif.
Ses hommes gèrent des cuisines collectives, des dispensaires et des écoles rudimentaires, tout en revendiquant un soutien logistique israélien. L’un de ses lieutenants a confirmé au Times of Israel des contacts directs avec le groupe de Hossam al-Astal, décrivant un réseau baptisé «Forces populaires» cherchant à établir une ceinture protectrice de Khan Younès à Rafah.
Derrière ces initiatives se profile une logique stratégique: Israël, qui refuse d’assumer directement la gouvernance de Gaza et écarte le retour immédiat de l’Autorité palestinienne, mise ponctuellement sur ces relais locaux. En juin, le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, avait admis, sans s’y attarder, apporter un soutien à certains clans hostiles au Hamas.
Ces figures émergent dans un contexte où d’autres clans, plus traditionnels, contestent eux aussi l’autorité du Hamas. Le clan Barbakh, puissant dans la région de Khan Younès, s’est déjà heurté aux forces islamistes, notamment lors d’affrontements signalés à l’hôpital Nasser. Ses notables affirment subir des répressions constantes depuis l’arrivée du Hamas au pouvoir et promettent désormais de riposter.
Plus au centre de la bande, le clan Abou Ziyad, basé à Zawaida, a publiquement accusé le Hamas d’avoir tué un de ses membres qui tentait d’empêcher le vol d’aide humanitaire, menaçant à son tour de lever les armes si les coupables n’étaient pas livrés.
D’autres familles, comme les Khalas à Gaza-ville, au nord de l’enclave, les Khanidak à Khan Younès ou les Doghmouch à Sabra, historiquement affiliées au Fatah, sont régulièrement citées pour leur opposition au Hamas et bénéficieraient, selon plusieurs sources, de soutiens extérieurs, parfois israéliens.
Ces clans, aux ramifications tribales profondes, ne disposent pas d’une organisation centralisée, mais leur poids social et leur présence armée les placent dans la mosaïque des forces émergentes.
Une vitrine de normalité
Pour convaincre, les nouveaux chefs de guerre mettent en avant un discours pacifiste inédit. «Notre message au peuple d’Israël est que nous voulons la paix», insiste Hossam al-Astal, qui se dit persuadé que «plus de 80% des Gazaouis ne veulent plus du Hamas».
Les baraques de son campement sont éclairées la nuit grâce à des panneaux solaires, image rare dans une bande privée d’électricité depuis octobre 2023. Des vidéos partagées sur les réseaux sociaux montrent aussi des vivres estampillés en hébreu, témoins d’un approvisionnement israélien assumé.
Pourtant, ces groupes n’échappent pas à la controverse. Les réseaux pro-Hamas les qualifient de «collaborateurs», rappelant le passé de Hossam al-Astal: membre des forces de sécurité palestiniennes avant 2007, emprisonné à plusieurs reprises par le Hamas et condamné à mort pour son rôle présumé dans l’assassinat en Malaisie d’un cadre du mouvement. Sa proximité avec Israël reste une arme de propagande pour ses adversaires.
Les risques d’un éclatement tribal
Selon le Long War Journal, la FFA s’inscrit dans la mouvance des nouveaux groupes armés tribaux qui émergent à Gaza pour contester l’autorité du Hamas.
L’organisation a pour objectifs le renversement du Hamas, la protection des civils et la restauration de la dignité des Palestiniens, tout en affirmant respecter le droit international humanitaire. Ses financements viendraient de «patriotes palestiniens» à l’intérieur comme à l’extérieur de Gaza.
Mais des analystes mettent en garde. Le think tank américain Atlantic Council rappelle les précédents afghan et syrien: l’armement de factions locales sans plan politique global conduit souvent à des rivalités fratricides. «L’armée et le gouvernement israéliens jouent avec le feu en multipliant les milices anti-Hamas sans cadre unificateur», avertit le think tank.
Le risque est que ces groupes, une fois renforcés, se retournent les uns contre les autres ou contre la population. L’exemple des clans Barbakh ou Abu Ziyad, qui privilégient d’abord leurs propres intérêts locaux, montre à quel point ces initiatives pourraient accentuer la fragmentation de la société gazaouie.
Une influence encore marginale
Malgré l’attention médiatique, ces structures restent limitées. Le média israélien Jerusalem Post rappelle ainsi que, selon les estimations, le Hamas conserve environ 2.500 combattants rien qu’à Gaza-ville, tandis que les nouvelles milices ne rassemblent que quelques centaines d’hommes. La comparaison souligne l’écart de puissance.
La majorité des 2 millions d’habitants de l’enclave vivent toujours sous la tutelle ou l’ombre du Hamas, et aucune organisation de substitution crédible n’a émergé. Dans le monde arabe, ces expériences sont observées avec méfiance.
Entre survie et politique
À ce stade, les groupes de Hossam al-Astal, de Yasser Abou Shabab ou les clans Barbakh et Abu Ziyad ne sont ni des armées ni des partis politiques. Ils incarnent plutôt une tentative de survie communautaire, protégée et instrumentalisée par Israël, dans une bande de Gaza exsangue.
Leur avenir dépendra moins de leur détermination que d’un éventuel cadre politique global, absent à ce jour. Car si le Hamas a perdu du terrain, il n’a pas perdu son emprise. Et quelques centaines de fusils, même braqués contre lui, ne suffiront pas à remplacer l’appareil politico-militaire qui contrôle la bande de Gaza depuis près de deux décennies.
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