
Refusée par la régie publicitaire de la SNCF et de la RATP pour «prosélytisme», la campagne du film Sacré Cœur engendre un débat sur la neutralité du service public. Entretemps, le film est bel et bien propulsé au sommet du box-office.
Dans les couloirs du métro parisien, on ne perçoit aucune trace de Jésus. Aucune affiche. La régie publicitaire MediaTransports, qui gère les campagnes de communication de la SNCF et de la RATP, a clairement affiché son refus de promouvoir le long-métrage Sacré Cœur, perçu comme «confessionnel et prosélyte». La société a invoqué le principe de neutralité du service public. Croyant abolir toute controverse, elle a, au contraire, déclenché des réactions inattendues.
Réalisé par Steven et Sabrina Gunnell, le film Sacré Cœur relate les apparitions du Christ à sainte Marguerite-Marie Alacoque entre 1673 et 1675, à Paray-le-Monial. Il s’inscrit comme une page d’histoire spirituelle française, sobrement et respectueusement portée à l’écran. Le film, catégorisé comme docu-fiction, mélange reconstitutions, archives et témoignages clés afin de redonner vie à une dévotion oubliée dans la religion chrétienne: celle du Cœur de Jésus. «Ce n’est pas un film de catéchisme, mais un acte d’amour», explique Steven Gunnell sur Europe 1, le 7 octobre 2025.
Le distributeur Hubert de Torcy, à la tête de SAJE Distribution, clame son étonnement: «D’autres films utilisant les symboles chrétiens – L’Exorciste, La Nonne – sont affichés partout. Là, c’est un refus net», dit-il, comme indiqué dans Le Figaro du 3 octobre 2025.
La régie n’en est pas à sa première décision controversée. En 2015, elle avait censuré une affiche du groupe Les Prêtres pour avoir mentionné les «chrétiens d’Orient». En 2021, une couverture du magazine Têtu montrant Bilal Hassani en Madone avait également été bannie. Cette fois-ci, la décision a eu l’effet inverse sur la plupart des publics, notamment ceux intéressés par le sujet.
La foi ou la curiosité scientifique s’avèrent plus fortes que la censure. Dès sa sortie, le 1er octobre, le film a tourné à guichets fermés. Par le bouche-à-oreille, les spectateurs ont atteint le nombre de 100.000, rien qu’en dix jours et des séances ont été ajoutées à travers le pays. L’impact sur le public dans tous les coins de France est palpable à la sortie du cinéma; les spectateurs sortent du film bouleversés, les larmes aux yeux. Sur AlloCiné, l’évaluation a atteint 4,5 sur 5 – un score exceptionnel pour un film indépendant.
«Les gens ont soif de sens. Et peut-être découvrent-ils qu’il y a quelqu’un qui a soif d’eux: Jésus», constate le réalisateur dans Zenit Français, le 10 octobre 2025.
La presse parisienne l’ignorant complètement, Sacré Cœur a trouvé son public ailleurs, sans grand effort, au sein d’une France toujours assoiffée de réponses et de culture. Sur CNews, RTL ou Le Figaro, les débats s’enveniment: laïcité ou intolérance? Neutralité ou exclusion du religieux et, plus particulièrement, du christianisme?
La question est une question de fond. Elle dépasse le grand écran parce qu’elle titille la mémoire d’un pays où le christianisme a laissé un impact palpable. Et pourtant, au sein de la vérité absolue inscrite dans l’Histoire, s’inscrivent les petites histoires du peuple de 2025, dans une France à la frontière fragile entre foi et culture. Quelle place occuperait la laïcité dans ce croquis redessiné au crayon? Et si le succès de Sacré Cœur reflétait une autre perception que celle d’une exaltation spirituelle? Peut-être détiendrait-il dans la manifestation d’un monde blasé, saturé d’images vides, de réseaux sans cœur, d’intelligence – si – artificielle, un besoin profond de beauté, de transcendance et d’amour avec grand A. Peut-être reflèterait-il la quête d’un soi ou d’un essentiel trop oublié dans le tourbillon incessant d’un monde sans scrupules? Ces chiffres traduiraient bien une dimension sociologique et humaine au-delà des slogans et des débats brechtiens interminables… Ils exprimeraient peut-être encore un désir de retour aux sources humaines avant tout, à l’idéalisme platonicien, dans une planète à huis clos, où l’on n’aperçoit que les ombres des grandes valeurs.
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