
Les développements majeurs se précipitent dans la zone du Levant et placent la région tout entière face à ce qui parait de plus en plus comme un impératif dans le contexte présent: il est grand temps que le directoire du Hezbollah et, d’une manière plus générale, son mentor iranien se résignent à s’aligner dans leur comportement politique sur le «principe de réalité». Bien connu en psychanalyse, le «principe de réalité» consiste à faire preuve de pragmatisme, de lucidité, de clairvoyance, et à s’adapter aux données irrémédiables du moment, même si elles risquent de violenter un tant soit peu les aspirations et les attentes affichées publiquement de manière un peu trop dogmatique.
En nous limitant au cas d’école du pays du Cèdre, le moment est peut-être venu pour les dirigeants, les cadres et les miliciens du Hezb d’affronter une situation nouvelle marquée par une sorte de mutation que le parti semble avoir subi, inconsciemment et de manière très peu valorisante.
La formation chiite est passée en effet de la phase de la prétendue «résistance» qu’elle affichait avec fierté à celle de la simple politique de l’autruche devant les raids israéliens quotidiens, de plus en plus dévastateurs et meurtriers. Dans le même temps, le parti est passé de la noble phase du «martyre sur la route de Jérusalem» à celle des «enjeux» (excusez l’abus de langage…) réduits, aujourd’hui, à des questions internes aussi futiles et risibles que la projection d’images sur le rocher de Raouché, ou le sort d’une vague ONG partisane sortie de l’ombre, ou encore le rassemblement de jeunes scouts faisant le salut nazi dans un stade à vocation sportive…
Le parti pro-iranien est plus que jamais prisonnier de son idéologie d’un autre âge et de son allégeance aveugle et doctrinaire au Guide suprême de la République islamique. Il montre de ce fait une grande difficulté à prendre conscience de son isolement croissant sur la scène locale et du manque de cohérence dans sa ligne de conduite. Ayant perdu sa fonction régionale de force de frappe ou d’instructeur dans des pays de la région pour le compte des Pasdaran et étant, surtout, dans l’incapacité de jouer les va-t-en-guerre contre Israël, il se replie sur un rôle réducteur très peu prestigieux, en visant dans son collimateur l’État libanais et les parties locales.
Pire encore: alors que de profonds bouleversements ont ébranlé et sont en voie de métamorphoser l’ensemble du Levant, le Hezb reste figé dans le discours politique dogmatique et obscurantiste des années 1990. Il semble incapable de regarder autour de lui et d’admettre – sans doute sur injonction de son mentor iranien – que le Moyen-Orient a radicalement changé et qu’une nouvelle physionomie géopolitique se met en place.
Pourtant, bien avant lui, d’autres acteurs régionaux, et non des moindres, ont su s’aligner sur le «principe de réalité» et ont tenu compte dans leur ligne de conduite de l’équilibre des forces du moment. En 1982, à titre d’exemple, lorsque l’armée israélienne a assiégé Beyrouth, l’OLP ne s’est pas obstinée à camper sur ses positions et s’est retirée du Liban, mettant ainsi un terme à l’hégémonie qu’elle imposait sur le pays depuis la fin des années 1960. Et dans le sillage de la guerre d’octobre 1973, le président égyptien Anouar Sadate accepta de mettre fin aux combats et au vieux conflit avec l’État hébreu parce qu’il réalisa, comme il devait le souligner publiquement par la suite, qu’il était en guerre, en réalité, contre les États-Unis et non pas uniquement contre Israël.
Le grand malheur auquel ont été confrontées les populations des pays du Levant depuis le déclenchement du conflit du Proche-Orient, à la fin des années 40 du siècle dernier, a résidé dans cette propension qu’avaient les dirigeants de cette région à faire prévaloir la déraison intégrale et les comportements irrationnels au détriment de la lucidité et du pragmatisme géopolitique. L’aboutissement de ces 75 années d’aventures guerrières stériles se passe de commentaires.
Il est grand temps, aujourd’hui, de mettre un terme à l’aveuglement, à la supercherie, au dogmatisme et, surtout, au terrorisme intellectuel, source d’aliénation et d’obstacles au bien-être social, au progrès, à l’ouverture sur «l’autre» et à la paix durable tant attendue… Il y va, plus que jamais, de la prospérité de chaque peuple de cette partie du monde.
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