Invités de l’émission «60 Minutes» sur CBS News, Steve Witkoff et Jared Kushner, deux proches collaborateurs de Donald Trump, ont déclaré que leur équipe «travaille sur un plan de paix entre le Maroc et l’Algérie». «Il y aura un accord, à mon avis, d’ici soixante jours», a ajouté Steve Witkoff. Une annonce inattendue, qui remet sur la table la question du Sahara occidental et suscite de nouvelles interrogations sur le rôle des États-Unis dans la région.
C’est une phrase glissée presque par hasard à la fin d’une interview. Invités de l’émission «60 Minutes» sur la chaîne américaine CBS dimanche dernier, Steve Witkoff et Jared Kushner, envoyés spéciaux du président américain Donald Trump, parlaient d’Iran, d’Israël et du Moyen-Orient. Et soudain, Witkoff lâche: «Nous travaillons sur l’Algérie et le Maroc en ce moment. Il y aura un accord de paix dans les soixante jours, à mon avis.» Une déclaration inattendue, prononcée sur un ton assuré, qui a aussitôt circulé sur les réseaux sociaux maghrébins.
Ni Alger ni Rabat n’ont commenté officiellement. Mais sur les réseaux, la surprise domine. Beaucoup s’interrogent sur la portée d’un tel «plan de paix» entre deux pays qui, s’ils sont en froid, ne sont pas en guerre. Certains internautes y voient une initiative hasardeuse. «On parle d’un plan de paix pour deux nations qui ne se combattent pas», écrit un internaute.
Des relations rompues depuis 2021
L’Algérie et le Maroc n’ont plus de relations diplomatiques depuis le 24 août 2021. Ce jour-là, Alger rompt officiellement avec Rabat, accusant son voisin d'«actes hostiles» et de «collusion» avec Israël. Les tensions s’étaient déjà accrues après l’affaire Pegasus et le rapprochement israélo-marocain, scellé un an plus tôt dans le cadre des accords d’Abraham, négociés par le gendre de Trump, Jared Kushner.
Depuis, les frontières restent fermées et les échanges inexistants. Une situation figée, dans laquelle chaque capitale campe sur ses positions.
Le Sahara occidental, au centre de tout
Au cœur du désaccord: le Sahara occidental, vaste territoire revendiqué par le Maroc et dont l’Algérie soutient le droit à l’autodétermination. Rabat défend un plan d’autonomie sous souveraineté marocaine, soutenu par plusieurs puissances, dont la France et les États-Unis depuis 2020.
Alger, de son côté, insiste sur la légalité internationale et sur le rôle des Nations unies. Ce dossier reste la ligne rouge de chaque camp et la clé de tout éventuel dégel.
«Une démarche connue à Alger»
Pour Akram Kharief, journaliste et chercheur algérien contacté par Ici Beyrouth, cette déclaration américaine n’est pas une découverte. «Il n’y a pas besoin de guerre pour qu’il y ait un plan de paix», explique-t-il.
«Un plan de paix, c’est avant tout une réflexion sur la stabilité durable entre deux parties. Les États-Unis travaillent sur la question du Sahara occidental depuis le premier mandat de Trump. Ils ont toujours cherché une solution qui convienne à tout le monde, sans suivre forcément la logique de la France ou de l’Espagne.»
Selon lui, la sortie de Witkoff confirme une démarche ancienne: «À Alger, on sait depuis longtemps que Washington explore des pistes. Ce qui surprend, c’est la manière dont cela a été dit et le fait qu’un délai ait été annoncé. Cela a pu créer une gêne, mais pas de véritable surprise.»
Pour Kharief, cette approche américaine est «un mélange de sincérité, d’ambition personnelle et d’une vision parfois naïve du monde». «C’est typique de la méthode Trump: croire qu’on peut régler les conflits par la volonté politique et la mise en scène. Mais parfois, ça fonctionne.»
Une rivalité toujours figée
Depuis la rupture, le dialogue reste inexistant. Le Maroc accuse l’Algérie de bloquer tout progrès sur le Sahara occidental, tandis qu’Alger reproche à Rabat de vouloir imposer un fait accompli. Chaque camp s’exprime désormais à travers des forums internationaux ou des médias alliés, et aucune rencontre bilatérale n’a eu lieu depuis quatre ans, ce que beaucoup décrivent comme une «guerre froide» qui s’est installée dans la durée.
«Une initiative symbolique, plus qu’un vrai projet»
Pour Hajar Raissouni, journaliste marocaine, la déclaration de Witkoff doit être lue avec prudence. Contactée par nos soins, elle estime que «ce propos reflète avant tout le désir symbolique de Washington de se présenter comme médiateur dans une région sensible». Et d’ajouter: «Trump s’est souvent posé en faiseur de paix, mais il cherche avant tout à renforcer son image politique.»
Toujours selon Hajar Raissouni, «le Maroc et l’Algérie partagent des liens historiques et humains profonds, malgré la froideur diplomatique. Mais une réconciliation réelle ne peut venir que de l’intérieur, pas de l’extérieur. Toute médiation étrangère, surtout venue d’une administration qui ne comprend pas les subtilités maghrébines, risque de manquer de sens et de crédibilité».
Le pari américain
Derrière cette phrase, beaucoup voient la marque de Jared Kushner, artisan des accords d’Abraham. Mais le Maghreb n’est pas le Proche-Orient: il n’y a pas de conflit ouvert, seulement une méfiance politique installée. L’idée d’un «plan de paix» entre Alger et Rabat paraît donc décalée, même si elle s’inscrit dans une tentative américaine de relancer son influence dans la région.
Pour Akram Kharief, il faut y voir «une volonté d’exister diplomatiquement, plus qu’un projet structuré». Selon lui, «ce genre de démarche rappelle que la région reste observée de loin, souvent à travers un prisme électoral ou géostratégique, mais rarement avec une compréhension fine de son histoire».
Réactions prudentes
Sur la toile, la tonalité générale reste mesurée. Certains internautes évoquent «une annonce sans fondement», d’autres ironisent sur «un plan de paix où il n’y a pas de guerre». Quelques rares voix saluent l’idée d’un apaisement, mais la plupart des commentateurs doutent d’une quelconque traduction concrète.
Dans les faits, aucune communication officielle n’a été faite, ni par le département d’État américain, ni par les gouvernements concernés. Une simple phrase prononcée sur un plateau télé aura donc suffi à relancer un dossier diplomatique que les deux capitales traitent avec la plus grande prudence.




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