L'enfer auquel font face les chrétiens du Nigeria
Des piétons passent devant l'église nationale dans le quartier central des affaires d'Abuja. ©Olympia de Maismont / AFP

Donald Trump a ravivé l’attention internationale sur la tragédie des chrétiens du Nigeria. Dans un message virulent publié dimanche sur Truth Social, le président américain a menacé d’une intervention militaire «rapide et brutale» si Abuja ne mettait pas fin aux massacres de chrétiens, accusant le gouvernement nigérian de «faillir à protéger la liberté religieuse».

Dans la foulée, Washington a replacé le Nigeria sur la liste des pays particulièrement préoccupants en matière de libertés religieuses, aux côtés de la Chine et du Pakistan. Le président Bola Ahmed Tinubu, de son côté, a dénoncé une «caricature injuste», assurant que son pays «protège les citoyens de toutes confessions».

Un pays en proie à la violence généralisée

L’avertissement américain survient dans un contexte d’explosion de la violence au Nigeria. Cette année, plusieurs attaques meurtrières ont ravivé les tensions confessionnelles dans le centre du pays. 

En juin, plus d’une centaine de personnes ont été tuées dans le village majoritairement chrétien de Yelwata, dans l’État de Benue, au centre du pays, lorsque des assaillants, présumés des miliciens peuls, ont incendié des dizaines d’habitations et exécuté des habitants, dont des enfants, avant de disparaître dans la brousse. 

En octobre, la Christian Association of Nigeria (CAN) a exhorté la communauté internationale à ouvrir une enquête indépendante sur «les meurtres systématiques de chrétiens dans le nord et le centre du pays», évoquant des «crimes d’atrocité». 

Début novembre, Abuja a rejeté avec vigueur les accusations américaines de «persécution religieuse», affirmant que la violence frappait indistinctement chrétiens et musulmans, et qu’elle relevait avant tout de conflits fonciers et criminels.

Ces drames récents s’inscrivent dans une spirale de violence amorcée depuis plusieurs années. Selon Human Rights Watch, l’année 2024 a été marquée par une recrudescence des enlèvements, des raids armés et des affrontements communautaires, notamment dans les États du Nord-Ouest et du Centre.

Les heurts entre agriculteurs chrétiens et bergers musulmans, exacerbés par la raréfaction des terres cultivables, ont pris la forme d’une véritable guerre confessionnelle larvée.

À Noël 2023, plus de 140 personnes ont été massacrées dans l’État de Plateau, à majorité chrétienne, au centre du pays, lors d’attaques attribuées à des milices d’éleveurs peuls. Quelques semaines plus tard, une trentaine de civils étaient tués dans de nouveaux assauts contre la région voisine de Mangu.

À ces violences se superposent celles du groupe djihadiste Boko Haram et de l’État islamique en Afrique de l’Ouest (ISWAP), actifs depuis plus de quinze ans dans le Nord-Est.

En février 2024, quelque 200 déplacés internes ont été enlevés dans le district de Ngala, dans l’État de Borno, au nord-est du pays, tandis qu’en septembre de la même année, 170 villageois étaient exécutés dans le Yobe, au nord-est, lors d’une attaque attribuée à l’ISWAP. 

L’organisation jihadiste Ansaru, dissidente de Boko Haram, a poursuivi ses enlèvements dans le centre du pays, notamment à Kuchi, au nord du pays, en mai 2024.

Une persécution ciblée

Derrière cette insécurité endémique, les chrétiens demeurent les principales victimes. L’organisation Portes Ouvertes classe le Nigeria comme le pays le plus meurtrier au monde pour les croyants, plus encore que l’Afghanistan ou la Corée du Nord. 

Des villages entiers sont incendiés, les églises détruites, les fidèles tués ou réduits à la fuite. En décembre 2023, des attaques ont fait près de 300 morts et huit églises ont été incendiées. Les survivants, souvent des femmes et des enfants, se réfugient dans des camps de déplacés où règnent la misère et la discrimination.

Dans douze États du Nord, régis par la charia, les chrétiens vivent comme des citoyens de seconde zone. Les convertis de l’islam risquent la mort, et les autorités ferment les yeux sur les violences commises au nom de la religion.

Dans certaines régions, les écoles chrétiennes ont même été fermées durant le ramadan sur ordre des autorités locales, en violation du principe de laïcité inscrit dans la Constitution.

États nigérians qui appliquent une forme de charia (en vert)

Le rôle central des milices peules

Mais la menace la plus pressante provient désormais des milices d’éleveurs peuls armés, particulièrement actives dans la «Middle Belt», zone charnière entre Nord musulman et Sud chrétien. 

Selon le Hudson Institute, ces groupes ont tué des milliers d’agriculteurs chrétiens dans les États de Benue, Kaduna et Plateau. Leurs attaques, souvent menées au cri d’«Allahu Akbar», viseraient à chasser les populations chrétiennes de leurs terres fertiles afin d’imposer un contrôle territorial. Des millions de paysans ont été déplacés, transformant cette région en épicentre d’une crise humanitaire et alimentaire.

Le gouvernement fédéral, accusé d’inaction, nie toute motivation religieuse, évoquant un simple conflit pour les pâturages aggravé par le changement climatique. Une lecture que dénoncent les églises locales, qui y voient une stratégie d’islamisation progressive du pays.

L’Église catholique nigériane a plusieurs fois interpellé Abuja sur son inertie, sans obtenir de réponse.

L’inaction d’Abuja et la lassitude des communautés

Les rapports de Human Rights Watch et du McCain Institute soulignent un constat commun : la passivité des forces de sécurité face aux alertes des populations. Dans plusieurs cas documentés, la police ou l’armée n’ont pas répondu aux appels de détresse avant ou pendant les attaques. 

Les responsables religieux évoquent une impunité totale : ni les commanditaires ni les auteurs des massacres ne sont poursuivis. Pire encore, certains prêtres ou pasteurs enlevés sont retrouvés morts, comme le père Sylvester Okechukwu en mars, sans qu’aucune enquête sérieuse ne soit ouverte.

Les camps de déplacés, majoritairement peuplés de chrétiens, se sont multipliés dans les États du Centre et du Nord-Est. Les conditions de vie y sont catastrophiques : manque d’eau, de soins, d’éducation. 

Pour l’heure, les chrétiens nigérians demeurent pris entre le marteau du fanatisme et l’enclume de l’indifférence étatique. Derrière les statistiques, c’est la survie même du pluralisme religieux au cœur de l’Afrique qui se joue. Dans un pays censé incarner la diversité, croire devient, chaque jour un peu plus, un acte de résistance.

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