Damas et Israël en pourparlers directs; Chareh veut tourner la page avec Washington
Le président syrien Ahmad el-Chareh reçu par son homologue américain Donald Trump, à la Maison Blanche. ©Al-Markazia

Le président syrien Ahmad el-Chareh a confirmé que la Syrie et Israël ont entamé des négociations directes pour la première fois depuis un demi-siècle.
Cette initiative intervient alors que Damas cherche également à rétablir ses relations avec les États-Unis après des décennies d’hostilité.

Dans un entretien accordé au Washington Post à la suite de sa rencontre avec le président américain Donald Trump à la Maison-Blanche, lundi, Chareh a expliqué que les pourparlers – facilités par la médiation américaine et soutenus par plusieurs acteurs internationaux – visent à stabiliser la région et à répondre aux préoccupations sécuritaires après des années de guerre et d’isolement.

Relations avec Israël

Dans l’une des révélations les plus marquantes de l’entretien, el-Chareh a confirmé que la Syrie et Israël sont engagés dans des négociations directes, une première depuis près de cinquante ans, avec la médiation des États-Unis et le soutien de plusieurs parties internationales, dont le président Trump lui-même.

Il a accusé Israël d’avoir violé l’accord de désengagement de 1974, qui avait maintenu séparées les armées des deux pays pendant cinq décennies. Selon lui, après la chute du régime Assad, Israël a «révoqué l’accord, étendu sa présence en Syrie, expulsé la mission de maintien de la paix de l’ONU et occupé de nouveaux territoires».

«Israël a mené plus de 1 000 frappes aériennes en Syrie depuis le 8 décembre», a affirmé el-Chareh, précisant que ces attaques avaient visé «le palais présidentiel et le ministère de la Défense».

Le président syrien a estimé que ces opérations n’étaient «pas motivées par des considérations de sécurité», mais par «des ambitions expansionnistes». Il a ajouté que Damas avait expulsé les milices iraniennes et les combattants du Hezbollah afin de répondre aux inquiétudes israéliennes.

«Nous sommes engagés dans des négociations directes avec Israël et nous avons déjà parcouru un bon chemin vers un accord», a-t-il déclaré. «Mais pour parvenir à un accord final, Israël doit se retirer jusqu’à ses frontières d’avant le 8 décembre.»

Interrogé sur la possibilité d’établir une zone démilitarisée au sud de Damas, el-Chareh a rejeté cette idée :

«C’est un territoire syrien, et la Syrie doit avoir la liberté de gérer son propre territoire. Si une zone démilitarisée est utilisée comme base pour attaquer Israël, qui en portera la responsabilité ?»

Il a mis en garde contre une logique d’empiétement progressif :

«Israël a occupé le Golan pour se protéger, et maintenant, il impose des conditions dans le sud de la Syrie pour protéger le Golan. Peut-être qu’un jour, il occupera le centre de la Syrie pour protéger le sud.»

Plaidoyer pour la levée des sanctions

Le président syrien a souligné dans son entretien que la reconstruction nationale et la stabilité économique dépendaient directement de la levée des sanctions occidentales, qui ont paralysé une grande partie de la reprise post-conflit.

« La stabilité est liée à l’économie, et l’économie, ou le développement économique, est liée à la levée des sanctions », a-t-il expliqué.

El-Chareh a indiqué que plusieurs mois de discussions avec les responsables américains avaient permis d’obtenir «de bons résultats», mais que Damas attendait encore «la décision finale» de Washington. Selon lui, un assouplissement des restrictions permettrait à la Syrie de reconstruire ses infrastructures et de restaurer les services essentiels détruits par la guerre.

Il a ajouté qu’il souhaitait «rebâtir la relation» entre la Syrie et les États-Unis, après un siècle de tensions.

«Nous avons cherché les intérêts communs entre la Syrie et les États-Unis, et nous avons découvert que nous en avions beaucoup», a-t-il déclaré. «La stabilité de la Syrie aura un impact sur toute la région et son instabilité également »

Un ancien combattant devenu diplomate

Interrogé par le Washington Post sur la manière dont les Américains pourraient percevoir un homme ayant autrefois combattu leurs forces, Chareh a défendu son passé militaire, estimant que la lutte «pour des objectifs nobles» ne devait pas être condamnée.

«Combattre n’a rien de honteux si c’est fait pour défendre sa terre et son peuple face à l’injustice», a-t-il dit. «J’ai mené de nombreuses guerres, mais je n’ai jamais causé la mort d’un innocent.»

Il a ajouté que les politiques occidentales avaient alimenté des guerres inutiles dans la région :

«Le Moyen-Orient a souffert de politiques américaines et occidentales qui ont provoqué tant de conflits absurdes. Aujourd’hui, beaucoup d’Américains reconnaissent que ces politiques étaient une erreur.»

Violences communautaires et reconstruction

Répondant aux critiques selon lesquelles les divisions confessionnelles persistent en Syrie, Chareh a reconnu que le pays traversait une phase de transition fragile, après six décennies d’autoritarisme et plus de dix ans de guerre.

«La Syrie sort d’une guerre féroce», a-t-il déclaré. «Nous sommes en train de reconstruire l’État, de rétablir la loi. Mais je ne dis pas qu’il n’y a plus de problèmes. L’histoire n’est pas terminée.»

Il a comparé la situation actuelle à celle des États-Unis après leur propre guerre civile :

«Après la guerre de Sécession, les États-Unis n’étaient pas stables au bout d’un an. Cela a pris des années.»

Daech et les forces kurdes

Concernant la présence militaire américaine dans l’est du pays, Chareh a estimé que l’armée syrienne pouvait assurer seule la sécurité, tout en suggérant un rôle temporaire de coordination pour les forces américaines afin de superviser l’intégration des forces kurdes — notamment les Forces démocratiques syriennes (FDS) — dans l’appareil sécuritaire national.

«Le maintien d’une Syrie divisée, ou la présence de forces qui échappent au contrôle du gouvernement, crée le meilleur environnement pour que Daech prospère», a-t-il averti.

Équilibre délicat avec Moscou

Chareh a décrit les relations avec la Russie comme «stratégiques mais délicates», rappelant que Moscou abrite toujours l’ancien président Bachar el-Assad et avait auparavant affronté les forces syriennes sur le champ de bataille.

«Nous avons été en guerre contre la Russie pendant dix ans, et ce fut une guerre dure», a-t-il confié. «Ils ont annoncé ma mort plusieurs fois.»

Malgré ce passé, il a souligné la nécessité de maintenir des liens pragmatiques avec Moscou, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU :

«Nous avons besoin de leur vote sur certaines questions. Le dossier Bachar el-Assad reste embarrassant pour la Russie… mais nous conserverons notre droit, en tant que Syriens, de réclamer sa comparution devant la justice.»

Les Américains disparus – le cas Austin Tice

Chareh a conclu son entretien en évoquant le cas du journaliste américain Austin Tice, disparu en Syrie en 2012. Il a déclaré que son gouvernement avait mis en place une commission chargée des personnes disparues, comprenant des ressortissants étrangers, et qu’il collaborait directement avec les autorités américaines.

«Nous avons réussi à libérer un citoyen américain détenu à Damas et à le remettre immédiatement aux autorités américaines», a-t-il affirmé.

Le président syrien a raconté avoir rencontré la mère de Tice, dont il a salué la détermination.

«C’est une femme admirable», a-t-il confié. «Je l’ai présentée à ma mère, car moi aussi j’ai disparu pendant sept ans. Tout le monde me croyait mort, sauf elle. Elle avait la certitude que je reviendrais un jour.»

 

 

Commentaires
  • Aucun commentaire